Il est né. Les torrents ont bondi dâallégresse
Et les eaux dans leur cours ont reflué vers Lui.
La terre aux prés nombreux contemple avec ivresse
Le nouveau firmament où le soleil a lui.
Il est né, le Très-Saint, le Pur, le Premier Prêtre,
Le Premier Conquérant et le Premier Pasteur,
Le Premier Mazdéen qui proclame et pénètre
Le Verbe primitif, auguste et créateur.
Câest Lui, Zarathoustra, qui rit à la lumière
Comme un rayon naissant sur les sommets neigeux ;
Lâavenir prophétique est clos sous sa paupière,
Tel quâun éclair caché dans un ciel orageux.
Il rit. Les troupeaux lents et repus dâherbe grasse,
Les bêtes des forêts, lâarbre au feuillage épais,
Toute la terre immense où germe et croît la race
Des Aryas pasteurs, dans lâamour et la paix ;
Et tout ce que Mazdâ créa dans lâétendue,
Le monde corporel, le ciel, tout a frémi,
Quand ce rire, flottant sur la bouche attendue,
Fut comme un vent léger sur un lac endormi.
Mais seuls, accélérant leur course vagabonde,
Ivres, jaloux, lascifs, menteurs, toujours vaincus,
Les Dévas, dont la lèvre abjecte bave et gronde,
Vers le berceau divin tendent leurs doigts aigus.
Là gît lâEnfant sauveur, inerte, faible encore,
Zarathoustra, prophète et justicier futur,
Qui les flagellera du fouet âpre et sonore
De la Prière, unie au Sacrifice pur ;
Celui dont la semence, après lés mille années,
Engendrera le Chef incorruptible et fort
Qui, balayant au loin les races condamnées,
Refermera sur eux les portes de la mort.
Quâil meure ! Et les Dévas, hurlants et pleins de joie,
Les sombres Ravageurs, les nocturnes Jaloux,
Au désert du couchant traînent comme une proie
Le Nouveau-né promis, quâont épargné les loups.
La horde, au flanc dâun mont que seul foule, ravage
Et creuse le sabot du bétail vagabond,
En un sentier abrupt, fermé dâun roc sauvage,
Abandonne lâEnfant et disparaît dâun bond.
Soudain, chassant la neige ainsi quâune avalanche,
Aveuglé de terreur, fou de rage et de faim,
Dâun formidable choc heurtant la paroi blanche,
Un lourd troupeau de bÅufs roule au long du ravin.
Leur masse bousculée, incessamment accrue,
Descend, se précipite et sâécrase et mugit
Et, plus compacte encore, à bonds pressés se rue
Vers lâunique chemin quâun sang visqueux rougit.
Mais voici que bondit par-dessus la mêlée
Un taureau gigantesque, à lâÅil tranquille et fier,
Qui fronce avec orgueil sa robe immaculée
Et pointe en sâarrêtant ses deux cornes de fer.
Immobile, il oppose à la troupe hagarde
Son poitrail vigoureux, comme un rempart, défend
Dâun mur massif la route infranchissable, et garde
Entre ses quatre pieds le sommeil de lâEnfant.
Et le troupeau meurtri, parmi les rochers lisses,
Recule, fuit, sâabat, tombe en amas sanglants.
Un beuglement funèbre emplit les précipices ;
Et le Taureau divin gonfla ses larges flancs.
Le céleste Taureau parla dans lâombre vaste :
â Quel gardien conduira le troupeau bondissant
Vers lâenclos préparé, si le Déva néfaste
Frappe le nouveau Chef et le Pasteur naissant ?
Vers qui sâélèvera, dans les gras pâturages,
Le sourd mugissement du bétail maladif,
Si le Méchant disperse ou corrompt les fourrages
Quâaiment la Vache-mère et le BÅuf primitif ?
Je tâimplore, ô Mazdâ ! moi le premier des êtres
Dont ta fécondité peupla le monde pur,
Et ma plainte vers Toi monte, ô Maître des Maîtres !
Dans lâaurore éclatante ou sous le ciel obscur.
Protège le Très-Saint que jâai sauvé moi-même !
Quâil soit le Guide heureux, le Veilleur sans repos,
Pacifique, pieux, plein du Savoir suprême,
Le Pasteur immortel que suivront les troupeaux.
Que lâhomme violent le redoute et sâincline !
Que le Sage grandisse à jamais écouté,
Et sème, ô Créateur ! le grain de ta doctrine
Sur la Terre de joie et de prospérité ! â
Et lââme du Taureau sâévanouit dans lâombre.
Et vers Zarathoustra, par les cieux éclaircis,
Volait en souriant, favorable et sans nombre,
Lâarmée aux casques dâor des saintes Phravasis.