Je vis la Mort, je vis la Honte ; toutes deux
Marchaient au crépuscule au fond du bois hideux.
L’herbe informe était brune et d’un souffle agitée.
Et sur un cheval mort la Mort était montée ;
La Honte cheminait sur un cheval pourri.
Des vagues oiseaux noirs on entendait le cri.
Et la Honte me dit : — Je m’appelle la Joie.
Je vais au bonheur. Viens. L’or, la pourpre, la soie,
Les festins, les palais, les prêtres, les bouffons,
Le rire triomphal sous les vastes plafonds,
Les richesses en hâte ouvrant leurs sacs de piastres,
Les parcs, éden nocturne aux grands arbres pleins d’astres,
Les femmes accourant avec une aube aux fronts,
La fanfare, à sa bouche appuyant les clairons,
Fière, et faisant sonner la gloire dans le cuivre,
Tout cela t'appartient ; viens, tu n’as qu’à me suivre.
Et je lui répondis : — Ton cheval sent mauvais.
La Mort me dit : — Mon nom est Devoir ; et je vais
Au sépulcre, à travers l’angoisse et le prodige.
— As-tu derrière toi de la place ? lui dis-je.
Et depuis lors, tournés vers l’ombre où Dieu paraît,
Nous faisons route ensemble au fond de la forêt.