Nous avons vu ce mois d’Avril
Engourdi par un froid subtil :
Le printemps était en péril.
Enfin, tout se métamorphose !
Mai, comme un jeune sein, arrose
De pourpre le bouton de rose.
Le vieil Hiver est aux abois.
Lauriers, c’est à vous que je bois :
Si, nous irons encore au bois !
Les pommiers sont couverts de neige.
Avec tout son riant cortège,
Le nouveau soleil nous assiège.
Enfants blonds comme les épis,
Ébattez-vous, Amours, tapis
Sur mes divans et mes tapis !
Voici les jours où tout me presse
De chercher ta molle caresse,
Poétique et sage Paresse !
L’utile est enfin négligé.
Depuis ce beau temps enragé,
Chacun prend un petit congé.
Chacun, dans le mois de la sève,
A son dur labeur donne trêve,
Pour dorloter un peu son rêve.
L’homme grave songe aux houris :
On le voit quêter les souris
De mesdemoiselles Souris.
On a du répit, même au bagne.
Le feuilletoniste en campagne
Va revoir la Grèce ou l’Espagne.
Ploutos dédaigne son trésor,
Et, pour six semaines encor,
Défend qu’on lui montre de l’or.
Nous, par les mêmes théories,
Nous fuyons les imprimeries,
Le mélodrame et les féeries.
Le soir on ne boit plus de thé,
Et notre journal endetté
Entame les romans d’été.
Les théâtres n’ont plus de queues ;
Scapin court pendant quatre lieues
Après les petites fleurs bleues.
L’artiste, affolé de rayons,
S’en va regarder les Troyons
Que le bon Dieu fait sans crayons.
Rose sort à pied, sans berline,
Sans fard, sans diamants. Céline
Met sa robe de mousseline.
Le savant au cœur plein de foi
Bouquine avec un tendre émoi
Pour trouver un Estienne. Et moi,
Cependant que les violettes
Ouvrent leurs fraîches cassolettes,
Je rimerai des Odelettes.
Mai 1855.