Le Télégraphe

 
Ici des machines qui parlent, là des bêtes qu’on adore.
VOLTAIRE, l’Ingénu.

Tandis qu’en mon grenier, rongeant ma plume oisive,
Je poursuis en pestant la rime fugitive,
Que vingt pamphlets nouveaux, provoquant mon courroux,
Loin d’échauffer ma veine, excitent mes dégoûts,
Que tour-à-tour j’accuse, en ma rage inutile,
Et ce siècle fécond et mon cerveau stérile,
Ce maudit Télégraphe enfin va-t-il cesser
D’importuner mes yeux, qu’il commence à lasser ?
Là, devant ma lucarne ! il est bien ridicule
Qu’on place un télégraphe auprès de ma cellule !
Il s’élève, il s’abaisse ; et mon esprit distrait
Dans ces vains mouvements cherche quelque secret.
J’aimerais mieux, je crois, qu’on me forçât de lire
Ce nébuleux Courrier ; dont au moins je peux rire .

Flottant de doute en doute et d’espoir en espoir,
Parfois j’ai découvert ce que j’osais prévoir.
Bon ! me dis-je, à la France il annonce peut-être
Des ministres du Roi qui serviront leur maître ;
Sans doute on voit déjà les haines s’endormir,
Et le trône des Lys commence à s’affermir ;
— Ou, veut-on reléguer, malgré leur fureur vaine ;
Collard à Charenton, Guizot à Sainte-Hélène ?
Est-il vrai qu’un festin où Decaze a trempé
Renverse du fauteuil le Chef du canapé ?
Verrait-on la Doctrine immolée au Système ?
L’abbé, qui change tout, est-il changé lui-même ?
Va-t-il, dans Albion pour grossir le trésor,
Conseiller au Régent de démolir Windsor  ?
Un bon Roi tôt ou tard chasse un mauvais ministre.
Hélas ! pour repousser tout augure sinistre,
Que faut-il à la France, objet de tant de soin ?
Rien qu’un Bourbon de plus et quelques sots de moins.

Et me voilà soudain, rêvant, sans me contraindre,
Ce bonheur idéal auquel je pense atteindre.
Je pourrai donc, malgré la Minerve en fureur,
Fêter l’heureux Juillet sans fêter la Terreur ;
Le soldat de Condé ne sera plus un traître ;
Le vendéen mourant aura servi son maître ,
Il perdit tout pour lui, mais du moins, en retour,
Sa veuve obtiendra bien plus de deux sous par jour,
Et maint votant ira, dans sa misère errante,
Végéter, en mangeant vingt mille écus de rente.
Ainsi l’espoir m’abuse, et mon esprit poursuit
Ces songes d’un instant, qu’un autre instant détruit,
Moins sûr dans ces calculs, qu’un moment vit éclore,
Qu’un ministre n’est sûr de l’être une heure encore.

Toi qui seul, de nos jours, pus, toujours agissant,
Servir tous les forfaits et rester innocent,
Discret avant-coureur de l’indiscrète histoire,
Télégraphe, où sont-ils les beaux jours de ta gloire ?
Sais-tu qu’il fut des temps où, du Nord au Midi,
Tu suivais l’heureux camp d’un despote hardi,
Quand, sur ton front muet, posant ses pieds agiles,
La renommée errait sur tes tours immobiles,
Et disait, dans un jour, au monde épouvanté,
Ou le Kremlin en flamme ou le Tage dompté ?
Mais aussi lorsqu’enfin la victoire inconstante
Du Conquérant farouche eut déserté la tente,
Quand Dieu, plaignant l’exil où languissaient nos Lys,
Eut repris son tonnerre à l’aigle d’Austerlitz,
Tu fus l’appui du Corse, et, mentant pour sa gloire,
D’un revers, en courant, tu fis une victoire.
Tandis que, par le froid, par le nombre accablés,
Nos braves, en cent lieux, mouraient inconsolés,
Que ces nobles guerriers d’une clameur funèbre
Frappaient les bords du Don et les rives de l’Ebre,
Grâce à toi, bien souvent, dans ce brillant Paris,
Un pompeux Te Deum fut l’écho de leurs cris.
Bien souvent... mais pourquoi rappeler tes mensonges ?
Le temps a d’Attila dissipé les vains songes ;
Les sceptres qu’il conquit en sa main sont brisés
Et, comme ses honneurs, tes honneurs sont passés.
Tu ne vois plus la foule à ta flèche mouvante
Fixer de longs regards d’espoir ou d’épouvante,
Et maint nouvel OEdipe essayer de prévoir
Le sort du lendemain dans tes signaux du soir.
Aujourd’hui le bourgeois, qu’un vague ennui promène,
Te jette un oeil distrait qui t’interroge à peine ;
Car nos grands roitelets et leurs petits débats,
S’ils l’excèdent souvent, ne l’intéressent pas.

Si trois cents villageois, pour chômer une fête,
S’assemblent par milliers, l’arme au bras, l’aigle en tête,
Et, du sanglant bonnet, se parant sans dessein,
S’en vont danser sous l’orme en sonnant le tocsin,
Tu portes aux ultras, sans frein dans leur colère,
Les ordres modérés de ce bon ministère .
D’autres fois tu répands, chez vingt peuples surpris,
Qu’une sombre terreur agite nos esprits,
Qu’il existe un complot, que les guerres civiles
Vont ravager nos champs et désoler nos villes,
Et qu’un témoin trop sûr a vu, près du château,
Trois généraux ultras causer au bord de l’eau.
Parfois encor, tu dis à l’Europe en alarmes
Que la France est en deuil et Paris dans les larmes,
Car Monseigneur, trottant sur un coursier trop prompt,
S’est, en tombant de peur, fait une bosse au front.

Pourtant, quoique déchu, tes rapides nouvelles
Font encor de nos jours tourner bien des cervelles.
Que de Serre, un matin, perde tout à-la-fois
Le sens qu’il eut un jour, les sceaux qu’il eut neuf mois,
Que l’abbé se retire, et qu’enfin, sans mystère,
Le trône ait trouvé grâce auprès du ministère,
Combien ces bruits, au loin portés par ton secours,
Vont changer de projets, de serments, de discours !
Varius, qui toujours déserta les églises,
Ce soir même, au sermon mènera trois marquises ;
À ce vieil émigré, qu’il rencontre en chemin,
Il promet aujourd’hui, pour demander demain ;
Voyez comme il surprend, par son nouveau langage,
Le pauvre homme, moins fait au respect qu’à l’outrage :
« — Votre parti me plaît : pour partager son sort,
En tout temps j’ai brûlé de le voir le plus fort,
Et quand sur nos ventrus il lançait l’anathème,
J’ai pu dire autrement : mais je pensais de même.
Souvent j’ai ri tout bas, quand l’abbé confondu,
Cachait un déficit sous un mal-entendu,
Assiégeait la tribune, et, fier du parallèle,
Répondait en causant à l’éloquent Villèle.
Je m’indignais de voir se glisser au bureau
Le beau-père attentif qui comptait son troupeau,
Ou le centre affamé, désertant la séance,
Payer cent mille écus le rôt d’une excellence ;
Ou Bar**te, éludant un orateur chagrin,
Vivre en prince, aux dépens de vingt commis sans pain.
J’admirais avec vous tous ces nobles courages
Par qui le trône enfin survit à tant d’orages ;
Et lorsqu’un pair voulut, pour la France alarmé,
Voir le sénat du, peuple aux factieux fermé,
Je blâmais cette loi qu’osait flétrir son zèle
Et je parlais pour lui, tout en votant pour elle... »
Ce n’est pas tout ; Monsieur proteste, avec chaleur,
Qu’il a des vrais français respecté le malheur.
Les privés, suivant lui, sont une race infâme ;
Monsieur aima toujours le roi, du fond de l’âme ;
Et, quoiqu’un sot journal en ait dit par erreur,
Monsieur chez lui souvent a ri de la Terreur.
On se quitte : et notre homme, en l’ardeur qui l’enivre,
Contre les libéraux déjà rêve un gros livre.

Télégraphe ! ô quel coup pour son cœur affligé !
Hélas ! le lendemain ton langage est changé.
« Le trône est sans appui ; la charte électorale
Répand dans vingt cités le trouble et le scandale ;
Nos préfets sont les seuls qu’attirent leurs repas,
Et l’agitation marche encore à grands pas ;
Grâce aux ultras, que perd leur haine irréfléchie,
Les ministres du Roi vont suivre l’anarchie ;
Car, redoublant partout ses efforts triomphants,
L’anarchie au sénat vomit tous ses enfants. »

Que fera Varius ? Pensez-vous qu’il balance ?
Varius haletant court chez son excellence ;
Il sort tout radieux, et sans perdre un instant,
Va courtiser Étienne, et saluer Constant.
Il fuit ces émigrés, à face féodale ;
Leur nombre est un fléau, leur luxe est un scandale.
La Renommée, enfant qui languit nouveau-né,
Doit à sa jeune ardeur un centième abonné ;
Il lit jusqu’à Tissot, souscrit pour Sainneville,
Et pare son salon d’un plan du champ d’asile.
Villèle est, à l’entendre, un fanatique ardent,
De Pradt sait le français, Fiévée est un pédant ;
Les nobles, le clergé sont faits pour nos insultes,
Il faut un protestant pour ministre des cultes...
En un mot, monseigneur, qu’il vit hier au bain,
Veut qu’on soit libéral : il s’est fait jacobin.
Rien ne l’arrête ; il ose, et sans art et sans honte,
Flatter l’abbé-baron, excuser l’abbé-comte ;
Devant leurs valets même il met bas son chapeau ;
Car enfin, un boucher peut devenir bourreau .
Moi qui, dans tout excès, cherche un juste équilibre,
Loin des indépendants je prétends vivre libre ;
Heureux, si par l’effroi de mes hardis pinceaux,
Je fais rugir le crime et grimacer les sots.
Je veux, en flétrissant leur audace impunie, —
Adorer la vertu, rendre hommage au génie :
Car le temps d’Azaïs a vu naître Bonald,
Et s’il fût plus d’un Brune, il est un Macdonald.
Vengeur des Vendéens, je t’admire et je t’aime ;
Mais le talent m’est cher dans un libéral même,
Étienne me fait rire, et parfois j’applaudis
Dans l’Ermite déchu l’esprit qu’il eut jadis.
Aussi, gaîment je siffle, affrontant leur colère,
Royer à la tribune et Bavoux dans sa chaire ;
Au cou de Rodilard j’attache le grelot,
Et du bonnet d’Hébert, je coiffe Montar***.
Quand Grégoire au sénat vient remplir un banc vide,
Je le hais libéral, je le plains régicide,
Et s’il pleurait son crime, au lieu de s’estimer,
S’il s’exécrait lui-même, oui, je pourrais l’aimer.
Ainsi, jeune et brûlant d’un courroux qui m’honore,
Je fronde un siècle impur, censeur sans tache encore,
Qui ne saurai jamais, peu fait pour parvenir,
Dans l’esclave en faveur voir le maître à venir.

Toi, cependant, aux lois de ta langue inconnue
Courbe ton front bizarre, élancé dans la Que,
Poursuis, cher télégraphe, agite tes grands bras ;
Semblable à ce baron, fameux par son fatras,
Qui, grattant son cerveau, l’oeil en pleurs, le teint blême,
Annonce un grand secret, qu’il ne sait pas lui-même.

[Le Télégraphe. Satire. A Paris..., 1819]

Collection: 
1822

More from Poet

  • Mivel ajkamhoz ért színültig teli kelyhed, és sápadt homlokom kezedben nyughatott, mivel beszívtam én nem egyszer drága lelked lehelletét, e mély homályú illatot, mivel titokzatos szived nekem kitárult, s olykor megadatott beszédét hallanom, mivel ott zokogott, mivel mosolyra lágyult szemed...

  • A lába csupaszon, a haja szétziláltan, kákasátorban ült, térdéig meztelen; azt hittem hirtelen, hogy tündérre találtam, s szóltam: A rétre, mondd, eljönnél-e velem? Szeméből rámsütött az a parázs tekintet, amely, ha enged is, szép és győztes marad, s szóltam: A szerelem hónapja hív ma minket,...

  • Olyan a szerelem, mint a gyöngyszemű harmat, amelytől fénylik a szirom, amelyből felszökik, kévéjében a napnak, szivárvány-szikra, miliom. Ne, ne hajolj reá, bárhogy vonz e merész láng, ez a vízcseppbe zárt, percnyi kis fényözön - mi távolabbról: mint a gyémánt, az közelebbről: mint a könny.

  • Pourquoi donc s'en est-il allé, le doux amour ?
    Ils viennent un moment nous faire un peu de jour,
    Puis partent. Ces enfants, que nous croyons les nôtres,
    Sont à quelqu'un qui n'est pas nous. Mais les deux autres,
    Tu ne les vois donc pas, vieillard ? Oui, je les vois,...

  • Puisque nos heures sont remplies
    De trouble et de calamités ;
    Puisque les choses que tu lies
    Se détachent de tous côtés ;

    Puisque nos pères et nos mères
    Sont allés où nous irons tous,
    Puisque des enfants, têtes chères,
    Se sont endormis avant nous ;...