Le Stigmate

 
Et in fronte ejus nomen scriptum : Mysterium…
Apocalypsis, caput XVII.

Une nuit qu’il pleuvait, un poète profane
M’entraîna follement chez une courtisane
Aux épaules de lys, dont les jeunes rimeurs
Couronnaient à l’envi leur corbeille aux primeurs.
Donc, je me promettais une femme superbe
Souriant au soleil comme les blés en herbe,
Avec mille désirs allumés dans ces yeux
Qui reflètent le ciel comme les bleuets bleus.
Je rêvais une joue aux roses enflammées,
Des seins très à l’étroit dans des robes lamées,
Des mules de velours à des pieds plus polis
Que les marbres anciens par Dypœne amollis,
Dans une bouche folle aux perles inconnues
La Muse d’autrefois chantant des choses nues,

Des Boucher fleurissants épanouis au mur,
Et des vases chinois pleins de pays d’azur.
Hélas ! qui se connaît aux affaires humaines ?
On se trompe aux Agnès tout comme aux Célimènes :
Toute prédiction est un rêve qui ment !
Ainsi jugez un peu de mon étonnement
Lorsque la Nérissa de la femme aux épaules
Vint, avec un air chaste et des cheveux en saules,
Annoncer nos deux noms, et que je vis enfin
L’endroit mystérieux dont j’avais eu si faim.
C’était un oratoire à peine éclairé, grave
Et mystique, rempli d’une fraîcheur suave,
Et l’œil dans ce réduit calme et silencieux
Par la fenêtre ouverte apercevait les cieux.
Le mur était tendu de cette moire brune
Où vient aux pâles nuits jouer le clair de lune,
Et pour tout ornement on y voyait en l’air
La Melancholia du maître Albert Dürer,
Cet Ange dont le front, sous ses cheveux en ondes,
Porte dans le regard tant de douleurs profondes.
Sur un meuble gothique aux flancs noirs et sculptés
Parlant des voix du ciel et non des voluptés,
Souriait tristement une Bible entr’ouverte
Sur une tranche d’or ouvrant sa robe verte.
Pour la femme, elle était assise, en peignoir brun,
Sur un pauvre escabeau. Ses cheveux sans parfum
Retombaient en pleurant sur sa robe sévère.
Son regard était pur comme une primevère

Humide de rosée. Un long chapelet gris
Roulait sinistrement dans ses doigts amaigris,
Et son front inspiré, dans une clarté sombre
Pâlissait tristement, plein de lumière et d’ombre !
Mais bientôt je vis luire, en m’approchant plus près
Dans ce divin tableau, sombre comme un cyprès,
Dont mon premier regard n’avait fait qu’une ébauche,
Aux lèvres de l’enfant le doigt de la débauche,
Sur les feuillets du livre une tache de vin.
Et je me dis alors dans mon cœur : C’est en vain
Que par les flots de miel on déguise l’absinthe,
Et l’orgie aux pieds nus par une chose sainte.
Car Dieu, qui ne veut pas de tare à son trésor
Et qui pèse à la fois dans sa balance d’or
Le prince et la fourmi, le brin d’herbe et le trône,
Met la tache éternelle au front de Babylone !

Collection: 
1889

More from Poet

Par le chemin des vers luisants,
De gais amis à l'âme fière
Passent aux bords de la rivière
Avec des filles de seize ans.
Beaux de tournure et de visage,
Ils ravissent le paysage
De leurs vêtements irisés
Comme de vertes demoiselles,
Et ce refrain...

Italie, Italie, ô terre où toutes choses
Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
Des sorbets à la neige et des ballets divins !

Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
Voici qu'on pense à toi,...

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu'on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
Les Comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux ;
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie...

Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
Dans votre vêtement de toutes les saisons !
Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard ; gravis les sentiers les...