Le Dieu de la porcelaine

 

Il est, en Chine, un petit dieu bizarre,
Dieu sans pagode, et qu’on appelle Pu ;
J’ai pris son nom dans un livre assez rare
Qui le dit frais, souriant et trapu.

Il a son peuple au long des poteries,
Et règne en paix sur ces magots poupins
Qui vont cueillant des pivoines fleuries
Aux buissons bleus des paysages peints.

Il vient, à l’heure où commencent les sommes,
Quand, sous leurs toits, les vivants sont couchés,
Pour réjouir tous les petits bonshommes
Que le vernis tient au vase attachés.

De l’un à l’autre, il va chanter ses gammes,
Flaire, en passant, le carmin des bouquets,
Ou parle bas avec de belles dames
Qu’on voit sourire à leurs gros perroquets.

Et si, dès l’aube, une maîtresse active
Jette à ses pots son regard empressé,
Elle voit bien, tant la couleur est vive,
Que le dieu Pu dans l’armoire a passé.

— Petit dieu Pu, dieu de la porcelaine,
J’ai, sur ma table, afin d’être joyeux
Lorsque décembre a neigé dans la plaine,
Un pot de Chine, aux dessins merveilleux :

Dans un verger, causent des femmes graves,
Et, sur son banc fait de roseaux tressés,
Un mandarin tend l’oreille à deux braves
Qui sont debout, depuis sept ans passés.

Pousse ma porte, en tes courses nocturnes !
Crains-tu, chez moi, quelque outrage odieux ?
J’ai l’ongle long des lettrés taciturnes,
Et mon chat blanc ne mange pas les dieux.

Foule à tes pieds, et, s’il te plaît, écrase
Mes plats d’argile et mes grès rabougris ;
Mais de tout choc garde, aux flancs de mon vase,
La glu d’émail où le soleil s’est pris.

Sur les oiseaux passe tes mains savantes,
Lisse la barbe aux magots rondelets,
Songe au matou, veille aux doigts des servantes,
Rends souple et fin le crin dur des balais.

Et, l’œil tourné vers Pé-Tche-Li la sainte,
Je te promets de boire à ta santé,
Sous les rayons de ma lanterne peinte,
Un peu d’eau chaude, avec beaucoup de thé.

Collection: 
1841

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