La Vendangeuse

 
      Toi dont les cheveux doux et longs
      Se déroulent en onde fière,
      Comme les flots de ta rivière,
      O belle fille de Châlons !
      Penche ta tête parfumée,
      Que je puisse, ô ma bien-aimée !
      Voir baigné par ces cheveux blonds
      Ton riant profil de camée.

      O fille d’un climat divin !
      Tu naquis plus blanche qu’un cygne
      Et ton grand-père dans sa vigne
      Mouilla ta lèvre avec du vin !
      Aussi, lorsque la primevère
      Triomphe du climat sévère,
      Loin du monde vulgaire et vain,
      Vers les cieux tu lèves ton verre.

      Toute à l’instant qu’il faut saisir,
      Tu mords, et d’une ardeur pareille,
      Aux raisins gonflés de la treille
      Comme à la grappe du plaisir !
      Et sur ta poitrine, où se noie
      Une lumière ivre de joie,
      Mûrissent les fruits du Désir
      Comme une vendange qui ploie.

      En tes veines, de toutes parts,
      Bourguignonne aux tresses dorées,
      Le sang des Bacchantes sacrées
      Bouillonne dans ton sang épars,
      Et tu tiens tes idolâtries
      De ces guerrières des féeries
      Qui conduisaient les léopards
      Avec des guirlandes fleuries !

      Il fut ton aïeul, cet amant
      De la chanson ivre et sauvage,
      Menant sur son char de feuillage,
      Par l’Attique, un troupeau charmant !
      C’est pourquoi, danseuse étourdie,
      Tu fais d’une main si hardie
      Carillonner joyeusement
      Les grelots de la Comédie !

      O vendangeuse ! tu souris,
      Embrassons-nous jusqu’à l’ivresse !
      Buvons encore, ô ma maîtresse !
      Déroule tes cheveux chéris
      Sur ces raisins ! car, ô merveilles !
      Tes tresses blondes sont pareilles
      Au soleil qui les a mûris,
      Et ta bouche aux grappes vermeilles.

Septembre 1853.

Collection: 
1843

More from Poet

  • Par le chemin des vers luisants,
    De gais amis à l'âme fière
    Passent aux bords de la rivière
    Avec des filles de seize ans.
    Beaux de tournure et de visage,
    Ils ravissent le paysage
    De leurs vêtements irisés
    Comme de vertes demoiselles,
    Et ce refrain...

  • Italie, Italie, ô terre où toutes choses
    Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
    Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
    Des sorbets à la neige et des ballets divins !

    Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
    Voici qu'on pense à toi,...

  • A travers le bois fauve et radieux,
    Récitant des vers sans qu'on les en prie,
    Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
    Les Comédiens, rois et demi-dieux.

    Hérode brandit son glaive odieux ;
    Dans les oripeaux de la broderie,
    Cléopâtre brille en jupe fleurie...

  • Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
    Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
    Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
    Dans votre vêtement de toutes les saisons !
    Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
    Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

  • Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
    Escalade la roche aux nobles altitudes.
    Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
    Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

    Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
    Marche au hasard ; gravis les sentiers les...