I
La neige qui s'amasse et tombe dans la neige,
Du ciel, à gros flocons, sur la terre descend,
Et, comme pour les pas d'un triomphal cortège,
Son glorieux tapis rayonne éblouissant.
D'autres regretteront, devant cette richesse,
Les pourpris que l'Aurore arrose de ses pleurs,
Le gazon aplani pour des pieds de duchesse,
Et le rose printemps des oiseaux et des fleurs ;
Et de ne plus revoir, au soleil d'or qui baise
Les grands coquelicots, orgueil mouvant des blés,
Les gammes de Rubens et de Paul Véronèse
Tourbillonner en chœur devant leurs yeux troublés.
Mais moi, j'aime à songer devant cette harmonie,
Et toutes les blancheurs des rêves anciens
Mettent d'accord leurs voix pour une symphonie,
Et leur rhythme plaintif me prend dans ses liens.
II
C'est dans le mol oubli d'un ciel douteux et pâle
Qui donne à toute chose un prestige charmant,
Et qui passe en douceur le duvet et l'opale,
Que le drame du jour s'agite vaguement.
Leurs six ailes au vent, pareilles à des voiles,
Les Anges sont épars dans les chemins du ciel ;
Les nuages rêveurs font la cour aux étoiles,
Et tout l'éther frémit d'un amour sensuel.
Les lacs sont habités par la troupe des cygnes,
Qui semblent frissonner sous nos soleils pâlis,
Et l'ombre du feuillage a les marbres insignes
Dont un grêle rayon baise les pieds polis.
III
Ces filles de la Grèce aux allures profanes
Écartent en riant les cheveux du bouleau ;
Et, cherchant le repos dans les flots diaphanes,
L'escalier des palais plonge son pied dans l'eau.
Sur la vague s'agite une légère écume,
Comme celle où, parmi les dauphins entraînés,
Pleine, ainsi que les flots, de charme et d'amertume,
Aphrodite jaillit des flots rassérénés.
(Dans la conque de nacre, avec ses pieds timides,
Vierge elle caressait les Grâces et les Jeux,
Et les purs diamants et les perles humides
Ruisselaient de sa bouche et de ses blonds cheveux.)
Voici les bois sacrés à la Mélancolie
Où, mêlant à la brise un murmure confus,
L'oranger, le laurier, le myrte d'Idalie
Accueille mille oiseaux dans ses dômes touffus.
C'est là que le pommier fleurit, et que la rose,
Fière de son bouton suave, encor tout blanc,
Déjà pâmée, attend que l'Aurore l'arrose
Et que l'enfant au dard la teigne de son sang.
IV
En cavalcade, au long des terrasses de brique,
Des dames, dont Zéphyr baise le front mutin,
Avec des cavaliers au sourire lubrique,
Passent dans leurs habits d'hermine et de satin.
Les pages, les muguets langoureux et bravaches,
Et les belles de cour, aux cheveux crespelés,
Font briller dans la nuit, sous d'insolents panaches,
Les fronts de leurs chevaux d'une flamme étoilés.
La nappe encore vierge est mise pour l'orgie,
Et les flacons d'argent brillent sur le dressoir,
Tandis qu'à la fenêtre, avec sa main rougie,
Elvire désolée agite son mouchoir.
Et dans l'ombre, un fuyard, qu'une autre ombre accompagne,
Les cheveux hérissés par le vent qui les suit,
Rejoint ses compagnons dans l'immense campagne,
Au galop d'un coursier sombre comme la Nuit.
V
Blanche, dans un massif, dort parmi les dentelles
Dont le bouquet foisonne autour de ses beaux seins ;
Elle rêve, et son corps, semblable aux tourterelles,
Creuse en nid embaumé le duvet des coussins.
Auprès d'elle, à mi-voix, deux colombes mystiques,
Au milieu des ardeurs du tiède renouveau,
Se murmurent, ainsi que des lyres antiques,
Des vers d'Anacréon, d'Orphée et de Sappho.
VI
Ainsi la Rêverie en mon âme s'épanche,
Et, le front caressé par ses folles fraîcheurs,
J'entends s'épanouir en moi (divine Blanche !)
L'accord mélodieux de toutes les blancheurs.
Mais ces pâles amours de fleurs et de sculptures,
Dont je mène en chantant le chœur étiolé,
Sont encore à mes yeux moins blanches et moins pures
Que votre âme sereine, ô Lys inviolé !