La Neige

 
On dirait que la Terre a bu le sang des lis
Et d’un deuil éclatant voile cette hécatombe,
Car déjà la blancheur des marbres clôt la tombe
Où dorment pour longtemps ces doux ensevelis.

Je t’adore, ô pâleur des vierges trépassées
Dans l’éblouissement des rêves amoureux,
Emportant dans l’azur les essors douloureux
De leur âme pareille aux colombes blessées !

Quel vent a flagellé l’aile que tu parais,
Doux et flottant duvet tombé du vol des anges,
Et secoué dans l’air tes floraisons étranges
Qui font comme un printemps à l’hibernal cyprès !

Les cygnes se sont-ils heurtés contre la nue,
Cherchant aux cieux l’azur de leurs grands lacs fermés ?
— Ou Psyché, renouant ses voiles parfumés,
De ses jeunes candeurs s’est-elle souvenue ?

On dirait que la Terre a pitié de nos morts,
Et, Vierge devenue au toucher de la neige,
Suspend des floraisons le travail sacrilège
Dans ses flancs qu’au repos invite le remords.

O Neige ! tu m’étreins le front sous le mystère
De ta froide splendeur et, comme épouvanté,
Je pense que, des cieux déchus de leur clarté,
Le lait d’une déesse a coulé sur la terre.

Collection: 
1857

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