La Gomme coule

                                        I

La gomme coule en larmes d’or des cerisiers.
Cette journée, ô ma chérie, est tropicale :
Endors-toi donc dans le parterre où la cigale
Crie aigrement aux cœurs touffus des vieux rosiers.

Dans le salon où l’on causait, hier vous posiez...
Mais aujourd’hui nous sommes seuls — Rose Bengale !
Endormez-vous tout doucement dans la percale
De votre robe, endormez-vous sous mes baisers.

Il fait si chaud que l’on n’entend que les abeilles...
Endors-toi donc, petite mouche au tendre cœur !
Cet autre bruit ?... C’est le ruisseau sous les corbeilles

Des coudriers où dorment les martins-pêcheurs...
Endors-toi donc... Je ne sais plus si c’est ton rire
Ou l’eau qui court sur les cailloux qu’elle fait luire...

                                        II

Ton rêve est doux — si doux qu’il fait bouger tes lèvres
Tout doucement, tout doucement — comme un baiser...
Dis, rêves-tu que sur un roc vont se poser
Parmi des thyms chèvrefeuilles de blanches chèvres ?

Dis, rêves-tu que sur la mousse, en notes mièvres,
La source pure au fond du bois vient à jaser.
— Ou qu’un oiseau tout rose et bleu s’en va briser
Les fils de Vierge et faire au loin s’enfuir les lièvres ?

Rêves-tu que la lune est un hortensia ?...
— Ou bien encor que sur le puits l’acacia
Jette des fleurs de neige d’or sentant la myrrhe ?

— Ou que ta bouche, au fond du seau, si bien se mire,
Que je la prends pour une fleur qu’un coup de vent
A fait tomber, du vieux rosier, dans l’eau d’argent ?

Collection: 
1888

More from Poet

  • Vous m’avez regardé avec toute votre âme.
    Vous m’avez regardé longtemps comme un ciel bleu.
    J’ai mis votre regard à l’ombre de mes yeux…
    Que ce regard était passionné et calme…

  • Voici les mois d'automne et les cailles graisseuses
    s'en vont, et le râle aux prairies pluvieuses
    cherche, comme en coulant, les minces escargots.
    Il y a déjà eu, arrivant des coteaux,
    un vol flexible et mou de petites outardes,
    et des vanneaux, aux longues ailes...

  • Voici le grand azur qui inonde la petite ville.
    Les paysans sont arrivés pour le marché.
    Des petits enfants ont des bas couleur de cerise.
    Ils sont venus le long de la fraîcheur des haies.

    Là-bas, la neige des montagnes casse le ciel.
    Oh ! que tout cela est...

  • Les villages brillent au soleil dans les plaines,
    pleins de clochers, de rivières, d’auberges noires,
    au soleil ou sous la pluie grise ou dans la neige
    avec des cris aigus de coqs, avec des blés,

    avec des chars qui vont lentement aux labours,
    avec des charrues qui...

  • Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
                          entre les cornes des bœufs.
                          Nous irons, si tu le veux,
    Si tu le veux, dans la campagne monotone.

    Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon......