Invideo, invideo quia quiescunt.
(LUTHER.)
Le soleil pâlissant du pluvieux automne
A l’humide horizon d’un ciel terne et blafard
S’éteint ; et sur Paris, océan qui bourdonne,
S’abaissent, en tous lieux, des trombes de brouillard.
Seul errant au hasard, la tristesse dans l’âme,
D’un oeil morne et glacé, j’observe tour à tour,
Ainsi qu’un brick géant en panne, Notre-Dame
Dans la nue enfouie avec sa double tour,
L’immense Panthéon dont ruisselle le dôme,
L’Institut ardoisé d’où tombe et filtre l’eau,
Et le grave Empereur, sur la place Vendôme,
Debout, comme autrefois dans la brume d’Eylau.
Sous les arbres pleurant dans l’atmosphère grise,
Au désert Luxembourg, solitaire, rêvant,
Je m’arrête inquiet, j’écoute….chaque église
Mêle son glas funèbre aux longs soupirs du vent.
C’est la fête des Morts !… Pensif je me recueille
Au banc de pierre assis, et le front dans la main :
Hélas ! arbres d’un jour et que le temps effeuille,
Nous semons de débris son lugubre chemin !
C’est la Fête des Morts !…Que je vous porte envie
O Morts ! dormez, dormez dans l’éternel repos ;
Dans le port abrités, naufragés de la vie,
Dormez ; à nous encor la tourmente et les flots !
Qu’importe ? Relevons nos fronts calmes, tranquilles !
Par l’ouragan bercés, prions silencieux ;
Sur l’orageuse mer laissons courir nos quilles :
Un rayon brille au loin…c’est le phare des cieux !
Que de l’humanité l’aventureuse flotte
Sur l’abîme grondant cingle avec majesté !
Courage, matelots ! Dieu nous sert de pilote :
Un jour nous jeterons l’ancre à l’Éternité !
(Paris, 2 novembre 1838.)