À M. Adrien R***

 
L’horizon, cette patrie des âmes inquiètes !
(G. Sand.)

Aiglons aventureux, dans l’espace égarés,
Nous irons gravitant vers les climats sacrés,
Abattant notre vol de l’abîme des nues :
Nous les visiterons ces terres inconnues,
De notre cri sauvage éveillant tout écho :
Nous verrons « le Jourdain dormant sous Jéricho , »
Le morne Golgotha, le Cédron, le Calvaire,
La ville des Hébreux que le chrétien révère,
La terre où le passé nous répond en toute lieu,
Et le vide tombeau, débris de l’Homme-Dieu !…
Oui, dans un jour lointain, un avenir à naître,
Nous la satisferons, cette soif de connaître,
Ce désir qui toujours aux jeunes âmes point,
Qui grandit avec nous et qui ne faiblit point.
Et d’où vient donc que l’homme, insoluble problème,
Abandonne, inquiet, le sol natal qu’il aime ?
Pourquoi son cœur poussé vers tout lointain climat
Se gonfle avec la voile et tremble avec le mât ?
C’est que de l’Océan la sauvage harmonie
Seule peut assoupir une âme en agonie,
C’est que, pour apaiser la fièvre du cerveau,
Il faut les grandes mers, l’air d’un monde nouveau !
Pourquoi, Châteaubriand, viens-tu, loin de la France,
Sous l’arbre américain promener ta souffrance ?
Oh ! c’est qu’avec sa voix, le vieux Michasippi
Berce, comme un enfant, le poëte assoupi !
Oui, tu la ressentais la puissance inconnue
D’une vierge forêt, d’une savane nue !
Oh ! c’est que le désert, le sauvage bison,
Les Indiens groupés, le soir, près du tison,
Tout émeut un cœur jeune et l’enivre et l’inspire ;
Oh ! c’est que là le bruit des passions expire,
C’est que dans nos déserts, aux grandioses nuits,
Au vieux Sta-Houlou seul on conte ses ennuis !

Comme tout jeune cœur, quand le doute l’oppresse,
Exhalant devant Dieu ma pieuse tristesse,
Poëte, aux mille voix grondant dans la forêt,
Aussi moi je demande un mot du grand secret,
Toujours interrogeant et les cieux et la terre,
Toujours enveloppé d’un éternel mystère.
L’Indien étonné me dit : « O mongoula,
Pourquoi l’aché-ninak te trouve toujours là  ?
Et pourquoi donc toujours, ô fils de la peau blanche,
Contre un magnolia ton jeune front se penche ? »
Et je réponds : « Enfant de la rouge tribu,
Dans l’eau du fleuve vieux que n’ai-je toujours bu ?
Chactas insoucieux , pourquoi donc le grand-être
Sous l’Indien tchouka ne m’ai-t-il point fait naître ?
Comme un de vous berçant mon hamac de roseaux,
Ma vie aurait coulé comme ces grandes eaux ! »

Bonfouca (Louisiane), 1837.

Collection: 
1830

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