O patrie ! ô doux nom que l’exil fait comprendre !
(C. DELAVIGNE.)
Le rivage natal est un si doux lien !
Pourquoi si tout ici surpasse notre envie
De relais en relais tourmenter une vie ?
Pourquoi changer quand on est bien ?
(MÉRV.)
Un jour tu reviendras, soucieux exilé,
Par le soleil des mers encore tout hâlé,
Portant du voyageur le sceau sur ton visage :
Oh ! quand tu reverras, après un long voyage,
Comme un point obscurci se détachant des eaux,
Ta Louisiane aimée et ses mouvans roseaux,
Quand des objets connus de la natale rive,
Un jonc de la savane, un vieux bois de dérive,
Un carrion-crow pesant égaré dans les cieux,
Pour la première fois, viendront frapper tes yeux,
Oh ! surtout quand, au loin, comme un arbre qui flotte,
Apparaîtra soudain la barque du pilote,
Quand cet homme attendu, ce rude Américain
Sur les bords du navire apposera sa main,
Et de sa forte voix, de son accent sauvage,
Debout, commandera de suite à l’équipage…
Oh ! que de souvenirs feront vibrer ton cœur,
Créole vagabond, nomade voyageur !
Sur la dunette assis, pensif et solitaire,
Comme d’un long regard tu saisiras la terre !
Comme tu salûras d’un hymne de retour,
D’un chant improvisé de filial amour,
Notre grand fleuve saint, aux sources inconnues,
Et ses vierges forêts, et ses savanes nues !
Oh ! c’est que nous t’aimons, ô vieux Nil des déserts !
Ton nom seul prononcé fait déborder nos vers !
C’est que si nous souffrons, si notre âme oppressée
Partout cherche l’oubli d’une fixe pensée,
Si notre front s’abat sous le poids des ennuis,
Nous te contons nos maux dans le calme des nuits,
Et comme un père aimant, ô vieux fleuve créole,
Tu sembles écouter et ta voix nous console…..
Hélas ! naguère encor, sur ta rive, attristé,
Tu me vis seul, errant pleurant ma liberté,
Pleurant mes jours heureux, l’indépendante vie
Du jeune homme qui court où le pousse l’envie,
L’impérieux besoin, l’instinct capricieux
De voyager, de voir toujours de nouveaux cieux,
Pleurant mes jours passés et mes heures d’étude,
De doux recueillement, de sainte solitude,
Et maudissant l’amour, ce corrosif poison,
Et l’œil vers l’Orient, fixé sur l’horizon,
Loin de ce grand Paris que mon cœur redemande,
Comme un aigle enchaîné..................
Toi seul me consolais, vieux fleuve ; à mes sanglots
Tristement répondaient tes sympathiques flots.
Ta paternelle voix endormait ma tristesse.
Et je disais alors : Souvenirs de Lutèce,
Loin de moi ! loin de moi ! Pourquoi courir les mers ?
Se préparer encor tant de regrets amers ?
Non !….la raison me dit qu’il est temps d’être sage,
Serai-je donc toujours un oiseau de passage ?
Comme l’algue des mers qu’entraîne au loin le vent,
Dois-je sans cesse errer sur l’abîme mouvant ?
Me verra-t-on toujours, loin de ma Louisiane,
Flotter sur l’Océan, voyageuse liane ?
Non !…à mes pins aimés, à mes bayous sans nom,
A Bonfouca me lie un éternel chaînon !
C’est là qu’est le bonheur, là que la vie est douce,
Sous nos beaux chênes verts vêtus de blanche mousse,
Là, jetant aux vains bruits du monde un long adieu,
L’homme dans le désert se rapproche de Dieu !
Ami, c’est au désert où l’instinct me rappelle,
C’est là que je voudrais vivre seul avec elle !
C’est là que je voudrais, loin de tout pas humain,
Bâtir un ajoupa, pour nous deux, de ma main,
Et, sans craindre jamais qu’elle me soit ravie,
Epuiser dans ses bras ma jeunesse et ma vie !
Sur ma tombe, où m’attend l’oubli de tous les maux,
Que l’arbre du désert incline ses rameaux !
Que le plaintif poor-will, la nuit, y fasse entendre
Le monotone écho de son chant triste et tendre
Que, sur ce tertre nu, sans funéraire croix,
Le chasseur indien se repose parfois,
Et, sans respect aucun pour ma cendre qu’il foule
Sommeille, insoucieux de l’heure qui s’écoule !
15 mai 1838.