À M. Anatole C***

 
Oh ! choisir une femme et créer autour d’elle
Tout un monde enchanté
Et vouloir seulement, pour la faire immortelle,
Une immortalité !
(A. de Latour.)

Oh ! puisque pour toujours, enfin, j’ai renoncé
A ce rêve d’amour qui m’a longtemps bercé,
A cet ange divin, ma créole inconnue,
Que sous les tièdes pins je pressais demi-nue,
Quand dans mon sein mon cœur battait avec effort,
Lorsque je me couchais triste près d’un bois-fort,
Et que, morne fantôme, à l’ombre de l’yeuse,
J’inclinais, en pleurant, ma tête soucieuse ;
Oh ! puisque pour toujours, enfin, j’ai renoncé
A ce rêve d’amour qui m’a longtemps bercé,
Ce rêve d’avenir et d’illusions folles,
Fusion de deux cœurs, de deux âmes créoles,
Etreintes sur un lit de mousse et de plantain,
Quand le silence plane au bois, après le bain,
Quand la forêt se tait, que, muets, on s’écoute,
Et que le bonheur est si grand que l’on en doute ;
Oh ! désormais, je puis vivre content de peu,
Et plus sage aujourd’hui, je ne forme qu’un vœu :
C’est de m’ensevelir dans une solitude,
De me bâtir, là-bas, un abri pour l’étude,
C’est, renonçant enfin aux songes de Réné,
De vivre insoucieux, d’auteurs environné.
Oh ! non, Paris n’est point, ma souffrance l’atteste,
L’enivrante oasis où pour toujours on reste !
O ma sainte pinière, ô mes bayous sans nom,
A vous toujours me lie un mystique chaînon !
Je suis, je suis toujours l’enfant de la savane,
Le sauvage banni qui reveut sa cabane.
Sous un nouveau soleil rien n’a pu me changer ;
Oh ! quand verrai-je encor les bois de l’Oranger,
Les Rigolets connus et puis la Grande-Pointe,
Les chênes du Lacombe et le château d’Alpointe ,
La cime des grands pins, le sable blanc, les joncs
Surgir à mes regards aux lointains horizons !

        

Paris, 1836.

Collection: 
1830

More from Poet

  •  
    Though the strained mast should quiver as a reed,
    And the rent canvass fluttering strew the gale,
    Still must I on…
    (BYRON.)

    Oui, le Vaillant a bien accompli son voyage !
    Il a franchi le golfe en cinq jours de sillage.
    Le ...

  •  
    Je le sens, pour une âme tendre,
    Un amour malheureux est encore un bonheur.
    (DESBORDES VALMORE.)

    La vierge, ange des cieux, qui dorait notre vie,
    Dans un jour de malheur peut nous être ravie :
    Mais ce qui ne fuit pas, mais l’éternel trésor...

  •  
    Is there a man of soul so dead,
    Who never to himself hath said :
    This is my own, my native land !
    (W. SCOTT)

    Adieu, frère créole, ami d’enfance, adieu !...
    Vogue sur l’Océan, à la merci de Dieu !
    Comme un coursier sans frein qui jette...

  •  
    Le soir ramène le silence.
    ………………………
    Je suis, dans le vague des airs,
    Le char de la nuit qui s’avance.
    (LAMARTINE.)

    La lune du Lacombe argente les deux rives :
    Pas un bruit de roseaux ni de feuilles plaintives.
    Au camp...

  •  
    O Dieu ! si tu m’avais donné une femme selon mes désirs ;
    si, comme à notre premier père, tu m’eusses amené par la
    main une Ève tirée de moi-même !
    (CHATEAUBRIAND.)

    Je me disais : La vie est triste et monotone !
    Et quoi ! toujours, toujours...