L’Hécatombe

 
Houles des océans éternels, millions
De croupes d’ombre et d’or par la révolte arquées,
Hurlant l’horreur de vos vaines rébellions
Dans un fracas d’éclairs et de chaînes choquées,

Qu’aux mailles de ses lourds filets aux nœuds de fer
La pesanteur fatale étreint, et broie, et traîne,
Vous qui criez vers nous, avec des voix de haine,
L’éternelle agonie aveugle de la mer ;

Hécatombes des eaux farouches, douloureuses
Peut-être de n’avoir jamais su le sommeil,
Et qui clamez sans fin, vers le muet soleil,
Votre épouvante d’être à jamais ténébreuses ;

Houles que bat le fouet strident des aquilons,
Que cinglent en fuyant les tourmentes perdues,
Que l’ouragan, ce noir veneur des étendues,
Ecrase du sabot de ses grands étalons,

O troupeau harassé des flots ! géantes hardes !
Bétail aux monstrueux fanons, qui secouez
Les festons par l'écume ironique noués
Aux plis rugueux de vos encolures hagardes,

Qui, chaque nuit, comme un égorgement sacré,
Comme un entassement piétiné de chairs nues
Et rouges, encombrez les mornes avenues,
Du palais où se meurt l’Astre Roi massacré,

Houles de pourpre et d’or, ô victimes ! vouées
Au bûcher colossal du funèbre occident,
Que, sur sa route d’ombre et de gloire, en grondant
Chasse et roule l’armée en marche des nuées,

Vous qu’emporte l’informe Invisible, au milieu
D’un lent déroulement de pompes triomphales,
Et qu’abat la massue atroce des rafales
Sur le pavé divin du crépuscule en feu ;

Pourquoi donc jetez-vous à notre âme profonde
Tout l’inutile effroi de vos mugissements,
Qui n’ébranleront pas les noirs entablements
Des salles où s’éteint l’Autel sanglant du Monde !

Pourquoi donc avez-vous ces voix de désespoir,
Si le supplice vous couronne, et si vous êtes,
Sous les torches d’airain dont s’éclairent vos crêtes,
Le sacrifice offert à la beauté du soir !

Collection: 
1885

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