L’Arrivée

 
Oh ! Les mornes chevaux, comme ils allaient, farouches !
Nul souffle ne sortait de leurs fatales bouches,
Nul regard n’étoilait la noirceur de leurs yeux.
À mesure que, froids, sourds et silencieux,
Ils entraient plus avant dans la grande nuit triste,
L’infini, qui, muet, aux prodiges assiste,
Épaississait la brume au fond de l’horizon ;
Et les arbres, troublés d’un sépulcral frisson,
Tordaient leurs bras souffrants et leurs branches meurtries,
Tandis que cheminaient le long des tuileries,
Toujours du même pas vertigineux et lent,
Les deux cavaliers noirs et le cavalier blanc.

Devant eux, comme un cap où les flots se déchirent,
L’angle de la terrasse apparut ; ils franchirent
Ce pas sombre, et le bruit cessa sur les pavés,
Et l’ombre fit silence ; ils étaient arrivés.

L’eau du fleuve fuyait, d’obscurité couverte.

Ô terreur ! Au milieu de la place déserte,
Au lieu de la statue, au point même où leurs yeux

Cherchaient le Bien-Aimé triomphal et joyeux,
Apparaissaient, hideux et debout dans le vide,
Deux poteaux noirs portant un triangle livide ;
Le triangle pendait, nu, dans la profondeur ;
Plus bas on distinguait une vague rondeur,
Espèce de lucarne ouverte sur de l’ombre ;
Deux nuages traçaient au fond des cieux ce nombre :
— Quatrevingt-treize-chiffre on ne sait d’où venu.

C’était on ne sait quel échafaud inconnu.

Lugubre, il se dressait ; derrière sa charpente
De quelque étrange abîme on devinait la pente ;
Les arbres regardaient l’horrible vision ;
L’ouragan retenait sa respiration
Devant la silhouette informe et ténébreuse ;
Et tout semblait hagard ; tant la machine affreuse,
Rouge comme un carnage et noire comme un deuil,
Debout entre l’énigme et l’homme, sur un seuil
Qui peut-être est le ciel, peut-être la géhenne,
Contenait de néant, d’épouvante et de haine !
Sous le blême triangle une échelle tremblait.
L’échafaud, immobile et monstrueux, semblait
Communiquer avec la tombe universelle.
Une pourpre, semblable à celle qui ruisselle
Et qui fume le long du mur des abattoirs,
Filtrait de telle sorte entre les pavés noirs
Qu’elle écrivait ce mot mystérieux : Justice.
On devinait que l’âpre et farouche bâtisse,
Calme, définitive, inexprimable à voir,
Avait été construite avec du désespoir,
Et sortait des douleurs, des pleurs et des décombres ;
Et que les deux poteaux, dans les carrefours sombres
Où l’homme marche triste, aveuglément conduit,
Avaient jadis marqué les routes de la nuit ;
On pouvait, dans la brume où l’infini commence,

Lire sur l’un : Pouvoir, et sur l’autre : Démence ;
Le cercle, qui s’ouvrait sous le lourd coutelas,
Rappelait le carcan et le couronne, hélas !
On sentait, à travers la vague horreur des rêves,
Que ce triangle était forgé de tous les glaives,
Du fer d’Achab ainsi que du fer d’Attila ;
Toute l’immensité de la mort était là,
Montant dans la nuée et jusqu’aux cieux terribles.

À peine palpitaient les choses invisibles ;
Pas un cri, pas un bruit, pas un souffle. Parfois,
Et ceci redoublait la terreur des trois rois,
Entre les deux sanglants et tragiques pilastres,
La brume s’écartait et l’on voyait les astres.

Car, ô nuit ! On sentait que Dieu, le grand voilé,
À cette chose étrange et triste était mêlé ;
L’éternité pesait dans ce lieu tout entière ;
Cette place fatale en semblait la frontière.

Les rois lisaient le mot écrit sur le pavé.

L’œil qui dans ce moment suprême eût observé
Ces figures, de glace et de calme vêtues,
Eût vu distinctement pâlir les trois statues.

Ils se taisaient ; et tout se taisait autour d’eux ;
Si la mort eût tourné son sablier hideux,
On en eût entendu glisser le grain de sable.

Une tête passa dans l’ombre formidable.
Cette tête était blême ; il en tombait du sang.

Et les trois cavaliers frémirent ; et, froissant
Vaguement le pommeau de sa lugubre épée,
L’aïeul de bronze dit à la tête coupée
(Dialogue funèbre et du gouffre écouté) :
— Oh ! L’expiation, dans ce lieu redouté,
Règne sans doute avec quelque ange pour ministre ?
Quel est ton crime ? Ô toi qui vas, tête sinistre,
Plus pâle que le Christ sur son noir crucifix ?

— Je suis le petit-fils de votre petit-fils.

— Et d’où viens-tu ?

                                   ― Du trône. Ô rois, l’ombre est terrible !

— Spectre, quelle est là-bas cette machine horrible ?

— C’est la fin, dit la tête au regard sombre et doux.

— Et qui donc l’a construite ?

                                             ― Ô mes pères, c’est vous.

Collection: 
1908

More from Poet

  • Mivel ajkamhoz ért színültig teli kelyhed, és sápadt homlokom kezedben nyughatott, mivel beszívtam én nem egyszer drága lelked lehelletét, e mély homályú illatot, mivel titokzatos szived nekem kitárult, s olykor megadatott beszédét hallanom, mivel ott zokogott, mivel mosolyra lágyult szemed...

  • A lába csupaszon, a haja szétziláltan, kákasátorban ült, térdéig meztelen; azt hittem hirtelen, hogy tündérre találtam, s szóltam: A rétre, mondd, eljönnél-e velem? Szeméből rámsütött az a parázs tekintet, amely, ha enged is, szép és győztes marad, s szóltam: A szerelem hónapja hív ma minket,...

  • Olyan a szerelem, mint a gyöngyszemű harmat, amelytől fénylik a szirom, amelyből felszökik, kévéjében a napnak, szivárvány-szikra, miliom. Ne, ne hajolj reá, bárhogy vonz e merész láng, ez a vízcseppbe zárt, percnyi kis fényözön - mi távolabbról: mint a gyémánt, az közelebbről: mint a könny.

  • Pourquoi donc s'en est-il allé, le doux amour ?
    Ils viennent un moment nous faire un peu de jour,
    Puis partent. Ces enfants, que nous croyons les nôtres,
    Sont à quelqu'un qui n'est pas nous. Mais les deux autres,
    Tu ne les vois donc pas, vieillard ? Oui, je les vois,...

  • Puisque nos heures sont remplies
    De trouble et de calamités ;
    Puisque les choses que tu lies
    Se détachent de tous côtés ;

    Puisque nos pères et nos mères
    Sont allés où nous irons tous,
    Puisque des enfants, têtes chères,
    Se sont endormis avant nous ;...