L’Amour

 
Quoi ! le libérateur qui par degrés desserre
La double chaîne noire, ignorance et misère,
Le balayeur qui jette au vent le préjugé,
Quoi ! l'immense marcheur, jamais découragé,
Le Progrès, qui de flamme éblouit le vulgaire,
Détrône l'échafaud et musèle la guerre,
Qui fait avec les mœurs des ratures aux lois,
Change en romain l'étrusque, en français le gaulois,
Crée et brise, sans cesse use l'un contre l'autre
Les mensonges, et va, rapide et ferme apôtre,
Lui, dont la chaude haleine émeut l'homme troublé,
Quoi ! lui, le destructeur flamboyant, étoilé,
De l'antique caverne et de l'antique geôle,
Il n'a pu fondre encor la glace que d'un pôle !
Quoi ! celles qui de l'âme élèvent le niveau
Et qui n'ont qu'à passer pour faire un ciel nouveau,
Quoi ! du pur idéal ces comètes errantes,
Ces guerrières du bien, ces vastes conquérantes,
Les révolutions, archanges de clarté,
N'ont mis que la moitié de l'homme en liberté !
L'autre est encore aux fers, et c'est la plus divine.
Doux oiseaux qui chantez là-bas dans la ravine,
Quand donc lèvera-t-on l'écrou du triste amour ?

Ô rossignol de l'ombre, alouette du jour,
Vous, gais pillards des blés, des seigles et des orges,
Moineaux, vous, amoureux de l'azur, rouges-gorges,
Fauvettes qui planez de l'aube jusqu'au soir,
C'est pour vous, n'est-ce pas ? une douleur de voir
Que la porte de l'air s'est brusquement fermée
Au moment où les cœurs à travers la ramée
S'envolaient, tendre essaim vers le ciel bleu poussé,
Et que la vieille cage horrible du passé,
Où toujours notre effort retombe et nous ramène,
Tient par une aile encor cette pauvre âme humaine !
Ô libres oiseaux, fiers, charmants, purs, sans ennuis,
Vous dites à l'aurore, aux fleurs, à l'astre, aux nuits :
— Est-ce qu'on ne peut pas aimer quand on est homme ?

Et l'aube où Dieu se montre, et l'astre où Dieu se nomme,
La nuit qui fait tomber ses soupirs les plus doux
Du nid des rossignols dans le trou des hiboux,
Les fleurs dont les parfums dans les rayons se fondent,
Et les herbes, les eaux, les pierres vous répondent,
D'une si douce voix qu'on ne peut l'exprimer :
— Ô bons petits oiseaux, tout est fait pour aimer !

 
Regardez-les jouer sur le sable accroupis,
Ou sur l'herbe, au milieu des fleurs, tendre tapis ;
L'un traîne la charrette et l'autre tient la pelle.
Le paradis leur parle et l'hymen les appelle.
Six ans donne parfois une tape à trois ans.
Puis l'âge vient, on marche, ô frais sentiers glissants !
Elle a six ans, il a neuf ans ; on se marie ;
L'aurore et le printemps sont en coquetterie ;
Les moineaux dans les bois font des choses entre eux
Qui changent deux enfants dans l'ombre en amoureux.
Encore un an, ou deux ; les filles sont farouches
Tout à coup, disent non, et sentent sur leur bouche
L'éclosion charmante et sombre du baiser ;
Ô mères, prenez garde ! Éros vient se poser
Dans les cœurs ; fauve oiseau, sans loi, sans frein, sans règle,
Qui commence en colombe et finit comme l'aigle.
N'importe ! c'est exquis. Cupidon est Bébé ;
Pyrame ne sait pas de quel sexe est Thisbé,
Et Bérénice joue au volant avec Tite.
Bel âge, où l'idylle est encor toute petite !

 
Il faut boire et frapper la terre d'un pied libre !
Dit Horace ; et la chose est vraie aux bords du Tibre,
Vraie aux bords de la Seine ; et songeons aux amours,
Maintenant, dit Horace, et moi je dis : Toujours !
Amis ! amis ! amis ! soyons tous frères ! gloire
À la beauté, vêtue ou non ! Va-t'en, nuit noire !
La jeune année arrive avec l'aurore au front,
Remet le temps à neuf, court d'un pas leste et prompt
Lave le ciel, sourit à la terre engourdie,
Et commence gaîment, par une mélodie,
Le printemps. Chantez, nids ! Ô fleurs, dans les fossés,
Les ravins, les étangs, les bois, les champs, croissez !
Boutons d'or que j'ai vus jadis aux Feuillantines,
Renaissez ! Fourmillez, liserons, églantines,
Pâquerettes, iris, muguets, lilas, jasmins !
Le petit enfant mai frappe dans ses deux mains.
Allons, dépêchez-vous de naître, il vous appelle.
Il veut parer la terre ainsi qu'une chapelle,
Et mettre une guirlande autour du genre humain.
Avril s'appelle Amour et juin s'appelle Hymen,
Le fruit suivra la fleur. Faisons des nids, fauvettes !
La jeune fille rêve et rit quand vous en faites.
Donnez l'exemple, oiseaux ! les vierges aux yeux doux
Vous regardent, ayant des ailes comme vous.
J'erre ; un vent tiède émeut les bois, je vois les scènes
Que font les pauvres fleurs aux papillons obscènes ;
Le lys vers le bourdon se penche, et, l'écoutant,
A l'air de s'écrier : Ah ! vous m'en direz tant !
L'ombre a le tremblement sonore d'une tente
Et cache les amours ; la nature est contente ;
Et la fécondité fermente ; et les appas,
Les soupirs, les baisers, ne s'inquiètent pas
Si quelque orage couve, et si cette gorgone,
La foudre, au loin, là-bas, à l'horizon bougonne.
Le vallon fleuri semble un encensoir fumant.
Quelqu'un a mis le feu partout, l'embrasement
Va de l'arbre au nuage et du ciel à la terre ;
La prairie a l'éclat glorieux d'un cratère,
Partout des fleurs de pourpre, et tout flambe et tout luit,
Et la création bouillonnant à grand bruit
Bout tout entière ainsi qu'une eau dans la chaudière,
Et tout rit, le soleil étant l'incendiaire.
Oh ! quelle vaste joie en cet abîme bleu !
À toute cette aurore il faudra dire adieu.
Hélas ! cela finit par s'éteindre, une fête !
Nous n'y consentons pas, on détourne la tête,
À chaque heure qui passe on veut se retenir.
Mais rien ne ralentit le pas de l'avenir,
Il ne demande pas la permission d'être,
Il vient. Souvenons-nous que demain est un traître,
Et, puisque nous avons Aujourd'hui, jouissons.
L'eau qui fuit en chantant nous donne des leçons ;
Fuyons, mais chantons. L'air est plein de senteurs douces
Un ensemencement de fleurs couvre les mousses.
L'homme est ombre ; on ne peut guère dire pourquoi
Nous sommes sur la terre. Eh bien, je le dis, moi,
C'est pour aimer. Et Dieu nous a créés pour faire
Éclore un peu d'amour sur cette obscure sphère
Et pour faire lever un astre dans nos cœurs.
Être deux, c'est la loi. Les merles, ces moqueurs,
L'observent aussi bien que le ramier fidèle.
Si la nature, avec de si puissants coups d'aile,
Remue éperdument et partout à la fois
La vie au fond des mers, des cieux, des champs, des bois,
C'est afin d'arriver à son but, faire un couple.
Si le chêne est solide et si la branche est souple,
C'est parce que le nid a besoin dans l'azur
Que le rameau soit tendre, et que l'arbre soit sûr.
L'ombre en son innocence énorme a le satyre.
L'homme cherche, la vierge attend, la femme attire ;
Léandre veut Héro, Manon veut Desgrieux ;
Sachez cela, vous tous, vivants mystérieux.
Paix aux cœurs douloureux et joie aux fronts moroses !
Quel tourbillonnement éblouissant de roses !

 
Écoute, si tu veux, puisque nous nous aimons,
Nous allons tous les deux fuir par delà les monts ;
Nous irons sous le ciel de Grèce, où sont les muses.
Tu verras, toi qu'un rien charme, toi qui t'amuses
Du vol d'un papillon, comment les aigles font
Quand ils planent autour du firmament profond ;
Tu verras par moments le fronton blanc d'un temple,
Avec la modestie auguste de l'exemple,
Se montrer à demi derrière un bois vermeil ;
Tu verras l'aloès étaler au soleil
Des petits lacs de pluie aux pointes de ses feuilles ;
Toi qui souvent, pensive et pure, te recueilles,
Toi qui soupires, toi qui songes, toi qui vois,
Tu prêteras l'oreille à de sauvages voix,
Et tu te pencheras sur des échos sublimes ;
Car c'est l'altier pays des gouffres et des cimes,
Belle, et le cœur de l'homme y devient oublieux
De tout ce qui n'est pas l'aurore et les hauts lieux ;
Et tu seras bien là, toi radieuse et fière ;
Tu seras à mon ombre et moi dans ta lumière.

Viens ; devant la splendeur de cet horizon bleu,
Nous sentirons en nous croître dans l'ombre un dieu ;
Viens, nous nous aimerons dans ces fiers paysages
Comme s'aimaient jadis les belles et les sages,
Comme Socrate aimait Aspasie aux seins nus,
Comme Eschyle, le chantre immense, aimait Vénus,
Dans l'extase sereine et sainte, dans l'ivresse,
L'héroïsme, la joie et l'espoir ; car la Grèce,
Terre où dans le réel l'idéal se confond,
Seule, a de ces amours, avec l'Olympe au fond.
Oh ! l'amour, le superbe amour, c'est le mystère !
Dieu manquerait au ciel s'il manquait à la terre,
Car la création n'est qu'un vaste baiser ;
Aimer, c'est le moyen de Dieu pour apaiser.
C'est le cœur qui nous crée et l'âme qui nous sauve ;
Car l'hostie et l'hymen, et l'autel et l'alcôve
Ont chacun un rayon sacré du même jour ;
La prière est la sœur tremblante de l'amour ;
Qui prie adore ; aimer, c'est prier une femme ;
Les deux lumières sont au fond la même flamme.
Belle au tendre regard, ce que nous demandons
Aux baisers, aux transports brûlants, aux abandons
S'achevant en sommeil dans les bras l'un de l'autre
C'est ce que demandait aux tonnerres l'apôtre,
C'est ce que dans Tharsis, dans Thèbes, dans Ombos,
Le prophète éperdu demandait aux tombeaux,
La révélation, l'éternité, la vie !
À la suite d'une âme être une âme ravie,
Sentir l'être sacré frémir dans l'être cher,
Apercevoir un astre à travers une chair,
Voir à travers le cœur humain l'âme divine,
Achever ce qu'on voit avec ce qu'on devine,
C'est croire, c'est aimer. Par Ève l'homme naît.
La femme est vers le ciel tournée, et ce qui n'est
Que parfum dans la rose est encens dans la femme.
Adorons.
                        Nous irons au pays du dictame,
Du laurier, et de l'arbre à palmes, cher aux dieux ;
Lieux bénis où le vent reste mélodieux
À force d'avoir mis son souffle dans les lyres.
Ô femme, ô fier œil noir qui m'emplis de délires,
Viens montrer à ce ciel de Grèce ton éclair,
Viens montrer à Paros le marbre de ta chair ;
Toi, la Vénus nouvelle, à la Vénus ancienne
Viens te comparer ! Toi, cette parisienne
Céleste, qui s'habille avec un goût profond,
Qui livre et cache, donne et reprend, sait à fond
L'art de la transparence enivrante, et câline
Mes yeux ardents avec la blanche mousseline,
Belle, viens compléter Athène avec Paris.

Ô toi qui souffres, plains, consoles et souris,
Je t'aime. Tu me fais l'effet d'une harmonie
Éclose d'on ne sait quelle harpe infinie.
N'es-tu pas l'esprit simple et calme ? N'as-tu pas
Un rythme obscur et doux dans chacun de tes pas ?
Galatée est lascive et Lesbie impudique ;
Toi, même au bain, jamais ta chasteté n'abdique ;
Ta beauté tremble et flotte au gré du flot mouvant,
Mais tu fuis si le bruit des feuilles dans le vent
Éveille le souci de pudeur qui t'obsède,
Et toute l'épaisseur de l'eau te vient en aide
Ainsi qu'une nuée au secours d'un rayon ;
Naïade, tu craindrais un regard d'alcyon.
Tu dis : Mon cœur demeure innocent, puisqu'on m'aime !
Rien ne peut te ternir, ô pur albâtre ; et, même
Dans les ravissements de l'amour accepté,
Tu restes la candeur, étant la volupté.
Parfois tu viens, muette et grave, sous l'yeuse
T'asseoir, puis te voilà subitement joyeuse,
Tu te mets à chanter quelque chanson d'enfant,
Et j'écoute, attendri, ton rire triomphant.
Oh ! quel être charmant que celui qui varie
Tantôt son enjouement jusqu'à la rêverie,
Tantôt son chant plaintif jusqu'au refrain railleur,
Et qui, soudain, quittant pour le hallier en fleur
L'empyrée où l'esprit en plein azur s'enfonce,
Terrestre et cependant aérien, renonce
Au vol de l'ange et prend les ailes de l'oiseau !
Ta taille a la souplesse aimable du roseau ;
Une lueur errante emplit ton sourcil sombre,
Comme si l'âme allait et venait dans cette ombre ;
Il semble que Dieu met un ange à ton côté ;
Tu m'éblouis ; parfois je crois, fleur de beauté,
Entendre autour de toi des murmures d'abeille.
Quand près de moi tu viens, apportant ta corbeille,
Comme dans leur vieux cloître autrefois les nonnains,
Faire un tas de petits chefs-d'œuvre féminins,
Je t'admire, et je crois voir l'aube qui se lève.
On a beau tout rêver, tu dépasses le rêve ;
Ton œil promet l'amour, ton cœur donne le ciel.
Tu passes dans la vie, humble, sans peur, sans fiel,
Sans faire de reproche à l'ombre, toi l'étoile.
Une musique sort, comme à travers un voile,
De ta beauté naïve et farouche à la fois ;
Ta grâce est comme un luth qui vibre au fond du bois ;
Tu sembles une note adorable ajoutée
Au concert qu'ici-bas l'âme écoute enchantée ;
Car la femme est de tout le divin complément,
Car dans l'hymne éternel rien n'est faux, rien ne ment,
Et la nature, voix profonde, chante juste.

Viens, nous habiterons un coin de terre auguste
Que je connais ; un fleuve est dans ce paradis,
C'est le Diras, torrent superbe, qui jadis
Sortit de terre afin de secourir Hercule ;
Puis, jusqu'à l'horizon si le regard recule,
On voit le Sperchius, sorti des mêmes monts
Que le Diras, hanté par les mêmes démons,
Qui serpente et qui va se perdre aux mers de Crète,
Puis Thélos, devant qui le tonnerre s'arrête,
Car c'est là qu'autrefois, fronçant leurs noirs sourcils,
Les grands amphictyons songeaient, en cercle assis.

Collection: 
1822

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