Pendant trois jours entiers et trois nuits, sans repos,
Défilèrent toujours les lugubres troupeaux :
Et cet amas de boue et de souffrance vive
S’engouffra sous les arcs de la grande Ninive,
Et Shin-Akhé-Irib resta droit sur son char.
La quatrième aurore éclaira le Shinar :
Le Conquérant, toujours splendide et taciturne
En son manteau roidi par la fraîcheur nocturne,
Eut un geste. La Terre à genoux salua
Le disque de Shamas montant sur Ninoua,
Et les tours de Nimroud de nuit enveloppées,
Ainsi que du fourreau s’échappent les épées,
Flambèrent, comme si le Dieu gardien d’Asshour
Se levait, dans la gloire implacable du jour.
Alors, du sombre amas des hordes aguerries,
De ces blocs bigarrés, faits de cavaleries,
D’archers et de soldats, de fauves combattants,
De ce tumulte enflé d’une rumeur d’autans,
De ces rangs en sueur, lourds de meurtre et de proie,
Sur qui Râman, l’esprit des batailles, flamboie,
De cette immense armée étagée en croissant,
Une acclamation au ciel éblouissant
Jaillit, et des chevaux soulevant la crinière,
S’éploya comme l’aile immense du tonnerre.
Le Roi d’Asshour semblait, droit sur son char de fer,
Un lion écoutant la clameur de la mer.
Nous venons du Shinar, la terre d’émeraude,
Du Naharaï qui tremble en ses taillis épais
Quand le tigre, parmi les roselières, rôde :
Nos épaules, ô Roi, fléchissent sous le faix
Des énormes toisons et des fourrures fraîches,
Et la fauve dépouille entassée en monceaux.
Nous jetons à tes pieds, transpercés de nos flèches,
La lionne au poil roux et ses grands lionceaux,
Nos épieux carnassiers teints du sang des panthères,
Les peaux de l’ourse brune et des fiers léopards,
Et, pour orner ta salle aux voûtes solitaires,
Les andouillers géants aigus comme des dards.
Nous fumerons ce soir de lourds quartiers de buffle
Aux lueurs des brasiers allumés sur les tours,
Et, sous l’anneau de fer qui fait saigner leur mufle,
Les taureaux de l’Elam mugiront dans tes cours.
Nous peuplerons tes parcs, pour tes chasses royales,
Des bêtes des déserts, des bêtes des forêts ;
Et le jour, offensant leurs prunelles ovales,
Les trouvera roidis aux mailles de nos rets.
Quand, pareil à l’Aïeul Nimroud, le chasseur d’hommes,
Éveillant les juments dans l’ombre des haras,
De cette même voix qui brise les royaumes,
O Shin-Akhé-Irib, tu nous appelleras,
Nous saisirons l’épée au dur tranchant, la hache
Et les épieux durcis aux flammes des bûchers,
Et le bouclier long fait de sept peaux de vache ;
Le carquois sonnera sur le dos des archers.
Nous forcerons pour toi, le Royal Sagittaire,
Les fauves pleins de soif qui rugissent le soir,
Et dont la voix salue en l’ombre solitaire
Shin, qui des hauts parvis balance l’encensoir.
Et tu verras bondir en hurlant, sur les croupes
De l’Ourartou terrible et de l’Elam impur,
Rabattus vers ton char, effarés et par troupes,
Tous les monstres promis à tes traits au vol sûr.
Ô Roi ! dans tes palais le ciseau perpétue
Par le basalte et les porphyres éclatants,
Ton image qui frappe et ton regard qui tue,
Et tes coursiers, cabrés dans un souffle d’autans.
Sur les pages de pierre où s’inscrivent tes fastes,
Dans les grands corridors en bois de Libanon,
Quand l’avenir, tremblant au seuil des salles vastes,
Asshour ! épellera tes gestes et ton nom,
Il te contemplera dans ta haute effigie,
Grave, vêtu des plis éternels du rocher,
Et, dans la nuit de fer par ses torches rougie,
Il croira voir ton ombre, effrayante, marcher.
Et, déroulant ton cycle et tes chasses de pierre,
Il se détournera de ta face, ô Tueur !
Craignant de voir encor passer sous ta paupière,
Des jours où tu vivais la terrible lueur.
Au choc des boucliers heurtant les larges glaives,
Au galop furieux du cheval qui hennit,
Ô Shin-Akhé-Irib, ô Roi ! quand tu te lèves,
Le disque ailé d’Asshour flamboie à ton zénith.
La guerre à ton appel ouvre ses rouges gueules,
Ô chef dévastateur, nourricier des aiglons,
Qu’environnent nos chars tournant, sinistres meules,
Dans un vol d’aquilons.
Quand vers les occidents tu baissas ton visage,
Nous partîmes, roulant sur les peuples broyés,
En contemplant, avec des cris, sur ton passage,
Les éclairs de Râman dans ton ombre éployés.
Des tentes de Moab aux murs de Samarie,
Ta colère passa comme un feu dans les blés,
Et le jaune Iardèn dans ses ondes charrie
Les cœurs des mutilés.
La somptueuse Zour en pleurant s’est assise
Sur sa grève sans fin que bat la Grande Mer :
Et nous avons scellé, dans Kenaan conquise,
Arvad sur son îlot par un carcan de fer.
L’hyène a nettoyé la blancheur des squelettes,
Et l’eau des torrents clairs n’éveille que l’écho ;
Car nous avons, joyeux, avec des cris de fête,
Aux défilés d’Ekko,
De l’épervier d’Ammon, surpris dans sa caverne,
Écrasé la couvée et les œufs non éclos,
Comblé la source fraîche et tari la citerne,
Scié les dattiers verts et brûlé les silos.
Les impurs circoncis, en crachant des insultes,
Ont pourri dans les puits ou séché dans les fours,
Et Lakish est tombée, au choc des catapultes
Battant ses rondes tours.
Ils barraient comme un mur le désert qui les garde,
Les princes de Saïs, les princes du Delta,
Et les Ethiopiens à la face camarde
Venus de la lointaine et noire Napata.
Tous avaient ceint le glaive et bouclé la cuirasse
Sur leur torse de cuivre aux larges pectoraux :
Les rouges cavaliers suivaient, la lance basse,
Les enseignes d’émail à têtes de taureaux :
Les cavales du Nil, les juments bolbitines
Hennissaient dans le souffle épais des étendards,
Et, des tours d’Ascalon, les vierges philistines
Cherchaient les Rois de Kem dans la forêt des dards.
Devant tous, contenant son écumant quadrige,
Dans son manteau sacré par les émaux fleuri,
Coiffé du pshent conique où rayonnant s’érige
Le divin uraeos des maîtres de Mousri,
Tahraq, noir héritier de vingt-deux dynasties,
Prince de Koush, seigneur du Fleuve et de la Mer
Lointaine, menait ses hordes appesanties
Par le pillage des temples de Manofer.
Autour de lui, debout dans la clameur des sistres,
Edom et Qir-Moab, Ashod et Beth-Dagon
Vomissaient le blasphème et brandissaient, sinistres,
Des javelots trempés dans le sang de dragon.
Mais Asshour s’est levé : comme devant l’aurore,
L’essaim des visions s’efface épouvanté,
Aux splendeurs de son jour voici que s’évapore
Le prestige des dieux de Misraïm dompté.
Ils avaient, soulevant leurs forces innombrables,
Bravé le nom d’Asshour et méprisé ses dieux,
Et nous les avons vus se tordre, misérables,
Empalés sur les croix et cloués sur les pieux.
Nous avons des vaincus qui râlaient d’épouvante
Crevé les yeux, scié les pieds, coupé les mains,
Et, des troncs empilés sur la plaine mouvante,
Fait trente tours de chair et de débris humains,
Sur les angles des rocs et les ronces des haies,
Tendu d’horribles peaux qui craquent dans les vents,
Et dans le sable ardent roulé, comme des plaies,
Sur leurs muscles entiers les écorchés vivants ;
Et, quand le soir tomba sur la Shéféla rouge,
De supplices repus et de carnage las,
Cherchant parmi les morts quelque blessé qui bouge,
Aiguisé sur ses os le fil des coutelas.
Ô Maître ! les captifs tordaient leur langue épaisse
Sous la boucle rivée à leurs dents, et, fouillés
Par le fer qui découpe et l’airain qui dépèce,
Hurlaient leur agonie aux quatre vents souillés.
Et ce soir, nous cloûrons aux formidables poutres
De la Salle où s’endort ta calme majesté
Des cuirs tannés de Rois qui, pareils à des outres
Vides, balanceront sur toi leur nudité :
Cependant qu’aux lueurs de les nuits enflammées,
Sous la dérision des éternels enduits,
Leurs têtes aux yeux creux, de parfums embaumées,
Aux palmiers de tes parcs pendront comme des fruits.