Il va neiger

Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens
de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses
au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce ?
J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien.

J’ai bien réfléchi, l’année avant, dans ma chambre,
pendant que la neige lourde tombait dehors.
J’ai réfléchi pour rien. À présent comme alors
je fume une pipe en bois avec un bout d’ambre.

Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.
Mais moi j’étais bête parce que ces choses
ne pouvaient pas changer et que c’est une pose
de vouloir chasser les choses que nous savons.

Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? C’est drôle ;
nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas
et cependant nous les comprenons, et les pas
d’un ami sont plus doux que de douces paroles.

On a baptisé les étoiles sans penser
qu’elles n’avaient pas besoin de nom, et les nombres
qui prouvent que les belles comètes dans l’ombre
passeront, ne les forceront pas à passer.

Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses
de l’an dernier ? À peine si je m’en souviens.
Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n’est rien,
si dans ma chambre on venait me demander : qu’est-ce ?

                                          1888.

Collection: 
1888

More from Poet

  • Vous m’avez regardé avec toute votre âme.
    Vous m’avez regardé longtemps comme un ciel bleu.
    J’ai mis votre regard à l’ombre de mes yeux…
    Que ce regard était passionné et calme…

  • Voici les mois d'automne et les cailles graisseuses
    s'en vont, et le râle aux prairies pluvieuses
    cherche, comme en coulant, les minces escargots.
    Il y a déjà eu, arrivant des coteaux,
    un vol flexible et mou de petites outardes,
    et des vanneaux, aux longues ailes...

  • Voici le grand azur qui inonde la petite ville.
    Les paysans sont arrivés pour le marché.
    Des petits enfants ont des bas couleur de cerise.
    Ils sont venus le long de la fraîcheur des haies.

    Là-bas, la neige des montagnes casse le ciel.
    Oh ! que tout cela est...

  • Les villages brillent au soleil dans les plaines,
    pleins de clochers, de rivières, d’auberges noires,
    au soleil ou sous la pluie grise ou dans la neige
    avec des cris aigus de coqs, avec des blés,

    avec des chars qui vont lentement aux labours,
    avec des charrues qui...

  • Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
                          entre les cornes des bœufs.
                          Nous irons, si tu le veux,
    Si tu le veux, dans la campagne monotone.

    Entends le coq... Entends la cloche... Entends le paon......