À Philoxène Boyer.
Ah ! pauvres maisons éventrées
Par le marteau du niveleur,
Pauvres masures délabrées,
Pauvres nids qu’a pris l’oiseleur !
Quand, sous le suaire des nues,
Au bord des larges boulevards,
Se dressent vos carcasses nues
Comme autant de spectres blafards,
Quand vos cloisons mal affermies
Livrent aux regards insultants
Les secrètes anatomies
Du foyer qui vécut cent ans,
Et qu’on voit, au long des murailles,
Sous la morsure des grappins,
Flotter, ainsi que des entrailles,
Vos vieux lambeaux de papiers peints !
Mon cœur qui garde, en ses abîmes,
Comme une perle au fond des mers,
Un trésor de pitiés intimes
Pour l’ennui des taudis déserts,
Mon cœur frémit, ma foi s’écroule,
Devant ces manœuvres impurs
Dont la cognée ouvre à la foule
La conscience des vieux murs.
Voici les noires cheminées,
Poumons bruyants de la maison,
Où les aïeules inclinées
Souriaient au rouge tison.
Voici la mansarde fidèle
Où le poète, pauvre encor,
Confiait au nid d’hirondelle
Le secret de ses rêves d’or.
Ah ! douloureuses gémonies !
Ils ont tout mis sous l’œil du jour,
Depuis la chambre aux agonies,
Jusqu’aux alcôves de l’amour !
On dit qu’au soir, dans les ténèbres,
L’essaim des souvenirs troublés
Fait sonner ses ailes funèbres
Sur ces restes démantelés...
Pour les couvrir, montez, ô lierres !
Brisez l’asphalte des trottoirs ;
Jetez sur la pudeur des pierres
Le linceul de vos rameaux noirs.
Cercueils froids que le sage envie,
J’ai vu votre ombre et vos lambeaux,
Mais ces sépulcres de la vie
Sont plus mornes que les tombeaux !