Chant séculaire

 
           Notre Eldorado,
      Mes amis, enfin doit éclore :
           Malgré mon bandeau,
      Je vois une nouvelle aurore.
         Aux cieux extasiés
        Tout est pourpre et rosiers :
      Voici l’heure, ô sainte colère !
      De chanter le chant séculaire :
           Les temps sont venus
        Pour les Dieux inconnus !

           O sombres penseurs
      Forts et seuls comme les grands chênes,
           O vierges nos sœurs,
      Tendres lys brisés par des chaînes !
        Laissez le saint amour
        Éclater au grand jour,
      Car Cypris, la pâle captive,
      A lavé son front dans l’eau vive :
           Les temps sont venus
        Pour les Dieux inconnus !

           Tout ce qu’on pleura,
      Dévouement, liberté, génie,
           Tout refleurira
      Pour le règne de l’harmonie :
        L’art sera dévoilé
        Comme un ciel étoilé,
      Et la Muse, pareille aux femmes,
      Chantera ses épithalames :
           Les temps sont venus
        Pour les Dieux inconnus !

           Je vois les doux vers
      Rejaillir en strophes écloses,
           Et des arbres verts
      Un miel pur couler dans les roses.
        Les Grâces vont pieds nus
        Sur les monts chevelus

      Et leur pas dans les fleurs naissantes
      Guide en chœur les vierges dansantes :
           Les temps sont venus
        Pour les Dieux inconnus !

           L’Auguste Beauté
      A quitté les bois de Cythère ;
           Son calme enchanté
      Resplendit sur toute la terre,
        Et le mal abattu
        Sous ses pieds meurt vaincu.
      Nous tenons sans honte et sans fièvres
      L’Idéal vivant sous nos lèvres :
           Les temps sont venus
        Pour les Dieux inconnus !

Avril 1846.

Collection: 
1843

More from Poet

  • Par le chemin des vers luisants,
    De gais amis à l'âme fière
    Passent aux bords de la rivière
    Avec des filles de seize ans.
    Beaux de tournure et de visage,
    Ils ravissent le paysage
    De leurs vêtements irisés
    Comme de vertes demoiselles,
    Et ce refrain...

  • Italie, Italie, ô terre où toutes choses
    Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
    Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
    Des sorbets à la neige et des ballets divins !

    Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
    Voici qu'on pense à toi,...

  • A travers le bois fauve et radieux,
    Récitant des vers sans qu'on les en prie,
    Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
    Les Comédiens, rois et demi-dieux.

    Hérode brandit son glaive odieux ;
    Dans les oripeaux de la broderie,
    Cléopâtre brille en jupe fleurie...

  • Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
    Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
    Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
    Dans votre vêtement de toutes les saisons !
    Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
    Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

  • Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
    Escalade la roche aux nobles altitudes.
    Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
    Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

    Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
    Marche au hasard ; gravis les sentiers les...