Chanson à boire

 
     De ce vieux vin que je révère
     Cherchez un flacon dans ce coin.
     Çà, qu’on le débouche avec soin,
     Et qu’on emplisse mon grand verre.

           Chantons Io Paean !

     Le Léthé des soucis moroses
     Sous son beau cristal est enclos,
     Et dans son cœur je veux à flots
     Boire du soleil et des roses.

La treille a ployé tout le long des murs,
Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs !

     Jusqu'en la moindre gouttelette,
     La fraîche haleine de ce vin
     Exhale un parfum plus divin
     Qu'une touffe de violette,

          Chantons Io Paean !

     Et, dessus la lèvre endormie
     Des pâles et tristes songeurs,
     Met de plus ardentes rougeurs
     Que n'en a le sein de ma mie.

La treille a ployé tout le long des murs,
Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs !

     A mes yeux, en nappes fleuries
     Dansantes sous le ciel en feu,
     L'air se teint de rose et de bleu
     Comme au théâtre des féeries ;

          Chantons Io Paean !

     Je vois un cortège fantasque,
     Suivi de cors et de hautbois,
     Tourbillonner, et joindre aux voix
     La flûte et les tambours de basque !

La treille a ployé tout le long des murs,
Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs !

     C'est Galatée ou Vénus même
     Qui, dans l'éclat du flot profond,
     Se joue et me sourit au fond
     De mon grand verre de Bohême.
          Chantons Io Paean !
     Cette autre Cypris, plus galante,
     Naît du nectar si bien chanté,
     Et laisse voir sa nudité
     Sous une pourpre étincelante.
La treille a ployé tout le long des murs,
Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs !
     Plus d'amante froide ou traîtresse,
     Plus de poëtes envieux !
     Dans ce grand verre de vin vieux
     Pleure une immortelle maîtresse,
          Chantons Io Paean !
     Et, comme un ballet magnifique,
     Je vois, dans le flacon vermeil,
     Couleur de lune et de soleil,
     Des rhythmes danser en musique !
La treille a ployé tout le long des murs,
Allez, vendangeurs, les raisins sont mûrs !

Collection: 
1843

More from Poet

  • Par le chemin des vers luisants,
    De gais amis à l'âme fière
    Passent aux bords de la rivière
    Avec des filles de seize ans.
    Beaux de tournure et de visage,
    Ils ravissent le paysage
    De leurs vêtements irisés
    Comme de vertes demoiselles,
    Et ce refrain...

  • Italie, Italie, ô terre où toutes choses
    Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
    Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
    Des sorbets à la neige et des ballets divins !

    Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
    Voici qu'on pense à toi,...

  • A travers le bois fauve et radieux,
    Récitant des vers sans qu'on les en prie,
    Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
    Les Comédiens, rois et demi-dieux.

    Hérode brandit son glaive odieux ;
    Dans les oripeaux de la broderie,
    Cléopâtre brille en jupe fleurie...

  • Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
    Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
    Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
    Dans votre vêtement de toutes les saisons !
    Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
    Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

  • Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
    Escalade la roche aux nobles altitudes.
    Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
    Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

    Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
    Marche au hasard ; gravis les sentiers les...