Nous qui ne verrons pas les vainqueurs revenir,
Ceints de palmes de flamme et de gloires ailées,
Et qui n’entendrons pas, sur nos tombes scellées,
Leurs quadriges, dans le soir triomphal, hennir ;
Qui n'admirerons pas, du fond des foules blêmes,
Quelles haines aux bras furieux tresseront
La couronne d’épine et de sang à leur front,
Qui ne connaîtrons pas nos Héritiers suprêmes,
Nous, courbés sur l'emblave où nous nous acharnons,
Fléchissant sous le faix de notre œuvre grossière,
Devanciers oubliés de qui l’humble poussière
Ignorera toujours leurs faces et leurs noms ;
Puisque, pour la pensée, en soi-même affranchie,
L’idéal réclamé par notre rêve errant
Sera notre Raison humaine, réfléchie
En ce qu’elle aura de plus grand,
Puisque, pour la justice à nous-même affrontée,
Le parfait pressenti par notre songe obscur
N’est que notre vertu mortelle, reflétée
En ce qu'elle aura de plus pur,
Puisque, pour cet Esprit dont nous sommes la lyre,
L’immobile Beauté dont le Verbe est l'autel
N’est rien que ce poème ineffable, où se mire
Ce que nous avons d’éternel,
Puisque tout ce qui fut la créature et l’Être,
Et Celui que la Vie adorait à genoux,
Comme cet Univers qui ne peut se connaître,
N’a de conscience qu’en nous,
Nous que n’éclairera pas l’aube qui se lève,
Nous qu’appelle la tombe en ses ombres de fer,
Remettant notre espoir et notre exemple offert
Aux mains de descendants dignes de notre rêve,
Avant que meure en nous l’être aux langues de feu,
Comme le Sage fit, dans l’agora d’Athènes,
Dédions les travaux de nos mains incertaines
A l’inconnu de ces Humanités lointaines,
Peut-être en genèse de Dieu.