Apothéose

 
 C'est bien fait, ô ma sœur,
       Et je succombe,
 Mais avec la douceur
       D'une colombe.

 En noyant ma raison
       Dans mon extase,
 J'ai béni le poison
       Et le beau vase.

 Même, j'ai traversé
       Sans épouvante
 L'heure où tu m'as versé
       L'horreur vivante.

 J'ai bu le flot profond
       Avec délice ;
 L'ivresse était au fond
       Du noir calice.

 Je te donne à présent,
       (Car je t'adore !)
 Le laurier verdissant
       Qui me décore.

 Arraché par mes vers
       A l'onde noire,
 Mes chants à l'univers
       Diront ta gloire.

 Près du ciel azuré
       Qui nous menace,
 Joyeux, je t'assoierai
       Sur le Parnasse.

 Là, recueillant le fruit
       De mon délire,
 Ta voix sera le bruit
       Que fait ma lyre ;

 Et tu joueras, enfant
       Né de Thalie,
 Dans le flot triomphant
       De Castalie.

 Dans les bois écartés,
       Ces lèvres roses
 Jetteront des clartés
       D'apothéoses ;

 Mon sang versé par jeu,
       Sainte blessure !
 Sera la pourpre en feu
       De ta chaussure ;

 Et, comme en ce dessein
       Je t’ai choisie,
 Tu laveras ton sein
       Dans l’ambroisie.

 Mais, couronnant ton front
       Pur de souillure,
 Des rayons d’or seront
       Ta chevelure ;

 Et tes yeux, où sourit
       Ma douleur morte,
 Reflèteront l’esprit
       Qui me transporte.

 O ma divinité
       Victorieuse,
 Pendant l’éternité
       Mystérieuse,

 Tes yeux, insoucieux
       De nos désastres,
 Seront comme des cieux
       Éclatants d’astres.

Collection: 
1843

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