Amour d’hiver/2

 
J’IGNORAIS tout de Toi, ne connaissant encore
Que la douce fierté dont ton front se décore
Et de tes yeux divins la sereine clarté.
Mais aujourd’hui je sais jusqu’au bout le poème
De ton corps enchanté. Voilà pourquoi je t’aime
Avec tes sens nouveaux qu’éveilla ta Beauté !

J’ignorais tout de Toi, ne connaissant encore
Que le baiser furtif dont ton rire sonore
Effaçait la douceur sur mes lèvres en feu.
Mais aujourd’hui je sais la caresse suprême
Que ferment tes bras nus ! — Voilà pourquoi je t’aime
D’un amour sans mesure et plus qu’on n’aime un Dieu.

                      ***

Il me semble parfois que je t’ai reconnue,
Tant tu sembles pareille à mon Rêve immortel.
Tu m’apparus jadis sur quelque antique autel,
Où rayonnait Vénus éblouissante et nue.

Des cieux doux et lointains d’où mon âme est venue
Tu redescends ainsi qu’un astre fraternel,
Fantôme radieux, souvenir éternel
Des chères visions écloses sous la nue !

Tu m’as rendu vivant le type radieux
De la femme pareille à l’image des Dieux,
Et que doit adorer quiconque ne blasphème.

Mon premier idéal s’incarne en ta Beauté.
Dès longtemps j’ai connu ta grâce et ta fierté.
Et, depuis que j’aimais, c’est Toi seule que j’aime !

                      ***

Il n’est de jours heureux que ceux où je te vois.
Tous les autres pourraient s’effacer de ma vie,
Sans que d’un seul regret leur lenteur fût suivie
Vivre c’est te revoir ! C’est entendre la voix !

C’est respirer, plus doux que le souffle des bois,
Le souffle de ta lèvre où mon âme est ravie ;
C’est mourir lentement sous l’implacable envie
De poser les pieds nus sur mon cœur aux abois.

Tout le reste n’est plus que mensonge et fumée.
L’univers se résume en Toi, ma bien-aimée.
Ma terre est sur ta bouche et mon ciel dans tes yeux !
En Toi seule commence et finit tout mon rêve.
Ton regard me le rend ; ton sourire l’achève,
Et, dans les bras, je sens en moi l’âme des Dieux !

                      ***

Quand tu passes, ma bien-aimée,
L’air est plus doux à mes poumons
Et la route est comme charmée.
Ma bien-aimée,
Aimons !

Quand tu souris, ma bien-aimée,
Les bois, les fleuves et les monts,
Toute la Terre est embaumée.
Ma bien-aimée,
Aimons !

Quand tu chantes, ma bien-aimée,
Oubliant fanges et limons,
Mon âme s’élève, pâmée.
Ma bien-aimée,
Aimons !

                      ***

Sous la treille où la clématite
Disperse ses flèches d’argent,
En avril, par un ciel changeant,
Nous irons tous deux, ma petite.

La chanson qui descend des nids,
Le parfum qui monte des roses
Enlaceront nos cœurs moroses
Dans des bercements infinis.

Et, peut-être, sous le ciel bleu
Où tout est tendresse, où tout aime,
Tu sentiras enfin, toi-même,
Le désir de m’aimer un peu !

                      ***

Je te revois enfant, — comme tu m’as conté, —
A la fleur des pavots, comme des fleurs pareilles,
Mêlant le rouge éclat de tes lèvres vermeilles,
Brune dans l’or des blés qu’avait jaunis l’été.

Je te revois enfant, dans la folle gaîté
Des vendanges, buvant le sang tiède des treilles,
Et puis, l’hiver venu, durant les longues veilles,
Réveillant le foyer de ton rire argenté.

Je recueille avec toi, comme des fleurs fanées,
Les souvenirs charmants de tes jeunes années
Et, dans mon cœur pieux, je les garde à mon tour.

Plus loin que le présent remonte ma tendresse,
Et j’envie au passé jusques à la caresse
Dont t’entourait jadis le paternel amour.

                      ***

Que l’heure est vite passée
Où dans mes bras te penchant
Tu berces de ton doux chaut
Le rêve de ma pensée !

Avec les mots que tu dis
Mon âme flotte à ta bouche
Et ton souffle qui la touche
La transporte au paradis.

O les jours délicieux
Qu’ainsi tu m’as fait connaître !
Toi qui gardes dans ton être
Le charme infini des cieux !

                      ***

L’hiver de cet an est si doux
Qu’on y voit mainte fleur renaître,
Ainsi qu’au printemps, et peut-être,
O ma mignonne est-ce pour nous.

C’est pour que sous les cieux moroses
Où toi seule encore es clarté,
Je puisse entourer ta beauté
De violettes et de roses.

Un souffle suspend, dans les airs,
Le vol de la neige et du givre
Afin de laisser pour toi vivre
Le charme des jardins déserts.

Mais l’éclat que portent en elles
Ces fleurs est prompt à se flétrir.
Mon âme, pour te les offrir,
Je voudrais des fleurs éternelles !

                      ***

Tu ne sauras jamais de quelle amour profonde
T’aime ce triste cœur que je croyais fermé,
Trépassé que tes yeux divins ont ranimé,
Rouvrant sur lui l’azur et la lumière blonde.

Ta beauté comme une aube y fait surgir un monde
Étincelant et clair, sous un ciel enflammé.
Telle on dit que Vénus sur l’univers charmé
Resplendit en sortant des bras amers de l’onde.

Je me croyais heureux, ayant enfin dompté
Le désir qui nous jette aux pieds de la beauté
Et nous met dans le cœur la torture suprême.

J’étais fou ! rien ne vaut cet immortel tourment
Qui me vient de ton Être et cruel et charmant.
Si je souffre pour toi qu’importe : du moins j’aime !

                      ***

Ce n’est pas en amant seulement que je t’aime.
C’est plus profondément et d’un cœur mieux navré.
Car ce qui me ravit dans ton être adoré,
C’est mieux que ta beauté divine, c’est toi-même ?

Ce n’est plus seulement l’âpre et rude désir
Qui m’enchaîne à tes pieds, ma belle souveraine ;
Une pensée en moi plus tendre et plus sereine
Réclame mieux de toi qu’une heure de plaisir.

Bien d’autres t’ont aimée, et mon amour en gronde,
Bien d’autres t’aimeront qui vont venir après.
Pour te garder à moi, chère âme, je voudrais
Mieux t’aimer à moi seul que le reste du monde !

Collection: 
1857

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