Épître 3

Aimable abbé, dans Paris autrefois
la volupté de toi reçut des lois ;
les ris badins, les grâces enjouées,
à te servir dès longtemps dévouées,
et dès longtemps fuyant les yeux du roi,
marchaient souvent entre Philippe et toi,
te prodiguaient leurs faveurs libérales,
et de leurs mains marquaient dans leurs annales,
en lettres d’or, mots et contes joyeux,
de ton esprit enfants capricieux.
ô doux plaisirs, amis de l’innocence,
plaisirs goûtés au sein de l’indolence,
et cependant des dévots inconnus !
Ô jours heureux ! Qu’êtes-vous devenus ?
Hélas ! J’ai vu les grâces éplorées,
le sein meurtri, pâles, désespérées ;
j’ai vu les ris, tristes et consternés,
jeter les fleurs dont ils étaient ornés ;
les yeux en pleurs, et soupirant leurs peines,
ils suivaient tous le chemin de Vincennes,
et, regardant ce château malheureux,
aux beaux esprits, hélas ! Si dangereux,
redemandaient au destin en colère
le tendre abbé qui leur servait de père.
N’imite point leur sombre désespoir ;
et, puisque enfin tu ne peux plus revoir
le prince aimable à qui tu plais, qui t’aime,
ose aujourd’hui te suffire à toi-même.
On ne vit pas au donjon comme ici :
le destin change, il faut changer aussi.
Au sel attique, au riant badinage,
il faut mêler la force et le courage ;
à son état mesurant ses désirs,
selon les temps se faire des plaisirs,
et suivre enfin, conduit par la nature,
tantôt Socrate, et tantôt épicure.
Tel dans son art un pilote assuré,
maître des flots dont il est entouré,
sous un ciel pur où brillent les étoiles,
au vent propice abandonne ses voiles,
et, quand la mer a soulevé ses flots,
dans la tempête il trouve le repos :
d’une ancre sûre il fend la molle arène,
trompe des vents l’impétueuse haleine ;
et, du trident bravant les rudes coups,
tranquille et fier, rit des dieux en courroux.
Tu peux, abbé, du sort jadis propice
par ta vertu corriger l’injustice ;
tu peux changer ce donjon détesté
en un palais par Minerve habité.
Le froid ennui, la sombre inquiétude,
monstres affreux, nés dans la solitude,
de ta prison vont bientôt s’exiler.
Vois dans tes bras de toutes parts voler
l’oubli des maux, le sommeil désirable ;
l’indifférence, au coeur inaltérable,
qui, dédaignant les outrages du sort,
voit d’un même oeil et la vie et la mort ;
la paix tranquille, et la constance altière,
au front d’airain, à la démarche fière,
à qui jamais ni les rois ni les dieux,
la foudre en main, n’ont fait baisser les yeux.
Divinités des sages adorées,
que chez les grands vous êtes ignorées !
Le fol amour, l’orgueil présomptueux,
des vains plaisirs l’essaim tumultueux,
troupe volage à l’erreur consacrée,
de leurs palais vous défendent l’entrée.
Mais la retraite a pour vous des appas :
dans nos malheurs vous nous tendez les bras ;
des passions la troupe confondue
à votre aspect disparaît éperdue.
Par vous, heureux au milieu des revers,
le philosophe est libre dans les fers.
Ainsi Fouquet, dont Thémis fut le guide,
du vrai mérite appui ferme et solide,
tant regretté, tant pleuré des neuf soeurs,
le grand Fouquet, au comble des malheurs,
frappé des coups d’une main rigoureuse,
fut plus content dans sa demeure affreuse,
environné de sa seule vertu,
que quand jadis, de splendeur revêtu,
d’adulateurs une cour importune
venait en foule adorer sa fortune.
Suis donc, abbé, ce héros malheureux ;
mais ne va pas, tristement vertueux,
sous le beau nom de la philosophie,
sacrifier à la mélancolie,
et par chagrin, plus que par fermeté,
t’accoutumer à la calamité.
Ne passons point les bornes raisonnables.
Dans tes beaux jours, quand les dieux favorables
prenaient plaisir à combler tes souhaits,
nous t’avons vu, méritant leurs bienfaits,
voluptueux avec délicatesse,
dans tes plaisirs respecter la sagesse.
Par les destins aujourd’hui maltraité,
dans ta sagesse aime la volupté.
D’un esprit sain, d’un coeur toujours tranquille,
attends qu’un jour, de ton noir domicile
on te rappelle au séjour bienheureux.
Que les plaisirs, les grâces, et les jeux,
quand dans Paris ils te verront paraître,
puissent sans peine encor te reconnaître.
Sois tel alors que tu fus autrefois ;
et cependant que Sully quelquefois
dans ton château vienne, par sa présence,
contre le sort affermir ta constance.
Rien n’est plus doux, après la liberté,
qu’un tel ami dans la captivité.
Il est connu chez le dieu du permesse :
grand sans fierté, simple et doux sans bassesse,
peu courtisan, partant homme de foi,
et digne enfin d’un oncle tel que toi.

Collection: 
1714

More from Poet

  • <2>

    La dernière est une des plus jolies qu'on ait faites : c'est Laïs sur le retour, consacrant son miroir dans le temple de Vénus, avec ces vers :

    Je le donne à Vénus, puisqu'elle est toujours belle :
    Il redouble trop mes ennuis.
    Je ne saurais me voir en ce...

  • Tu veux donc, belle Uranie,
    Qu'érigé par ton ordre en Lucrèce nouveau,
    Devant toi, d'une main hardie,
    Aux superstitions j'arrache le bandeau;
    Que j'expose à tes yeux le dangereux tableau
    Des mensonges sacrés dont la terre est remplie,
    Et que ma philosophie...

  •  
       O malheureux mortels ! ô terre déplorable !
    O de tous les mortels assemblage effroyable !
    D’inutiles douleurs, éternel entretien !
    Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien » ;
    Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
    Ces débris, ces lambeaux, ces...

  •  
         Regrettera qui veut le bon vieux temps,
    Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
    Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
    Et le jardin de nos premiers parents ;
    Moi, je rends grâce à la nature sage
    Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
    Tant...

  • Sur les bords fortunés de l'antique Idalie,
    Lieux où finit l'Europe et commence l'Asie,
    S'élève un vieux palais respecté par les temps :
    La Nature en posa les premiers fondements ;
    Et l'art, ornant depuis sa simple architecture,
    Par ses travaux hardis surpassa la...