Épître 105

Chantre des vrais plaisirs, harmonieux émule
du pasteur de Mantoue et du tendre Tibulle,
qui peignez la nature, et qui l’embellissez,
que vos saisons m’ont plu ! Que mes sens émoussés
à votre aimable voix se sentirent renaître !
Que j’aime, en vous lisant, ma retraite champêtre !
Je fais, depuis quinze ans, tout ce que vous chantez.
Dans ces champs malheureux, si longtemps désertés,
sur les pas du travail j’ai conduit l’abondance ;
j’ai fait fleurir la paix et régner l’innocence.
Ces vignobles, ces bois, ma main les a plantés ;
ces granges, ces hameaux désormais habités,
ces landes, ces marais changés en pâturages,
ces colons rassemblés, ce sont là mes ouvrages :
ouvrages fortunés, dont le succès constant
de la mode et du goût n’est jamais dépendant ;
ouvrages plus chéris que mérope et zaïre ,
et que n’atteindront point les traits de la satire !
Heureux qui peut chanter les jardins et les bois,
les charmes de l’amour, l’honneur des grands exploits,
et, parcourant des arts la flatteuse carrière,
aux mortels aveuglés rendre un peu de lumière !
Mais encor plus heureux qui peut, loin de la cour,
embellir sagement son champêtre séjour,
entendre autour de lui cent voix qui le bénissent !
De ses heureux succès quelques fripons gémissent ;
un vil cagot mitré, tyran des gens de bien,
va l’accuser en cour de n’être pas chrétien :
le sage ministère écoute avec surprise ;
il reconnaît Tartuffe, et rit de sa sottise.
Cependant le vieillard achève ses moissons ;
le pauvre en est nourri : ses chanvres, ses toisons,
habillent décemment le berger, la bergère.
Il unit par l’hymen Moeris avec Glycère ;
il donne une chasuble au bon curé du lieu,
qui, buvant avec lui, voit bien qu’il croit en Dieu.
Ainsi dans l’allégresse il achève sa vie.
Ce n’est qu’au successeur du chantre d’Ausonie
de peindre ces tableaux ignorés dans Paris,
d’en ranimer les traits par son beau coloris,
d’inspirer aux humains le goût de la retraite.
Mais de nos chers français la noblesse inquiète,
pouvant régner chez soi, va ramper dans les cours ;
les folles vanités consument ses beaux jours :
le vrai séjour de l’homme est un exil pour elle.
Plutus est dans Paris, et c’est là qu’il appelle
les voisins de l’Adour, et du Rhône, et du Var :
tous viennent à genoux environner son char ;
les uns montent dessus, les autres dans la boue
baisent, en soupirant, les rayons de sa roue.
Le fils de mon manoeuvre, en ma ferme élevé,
à d’utiles travaux à quinze ans enlevé,
des laquais de Paris s’en va grossir l’armée.
Il sert d’un vieux traitant la maîtresse affamée ;
de sergent des impôts il obtient un emploi :
il vient dans son hameau, tout fier ; de par le roi,
fait des procès-verbaux, tyrannise, emprisonne,
ravit aux citoyens le pain que je leur donne,
et traîne en des cachots le père et les enfants.
Vous le savez, grand dieu ! J’ai vu des innocents,
sur le faux exposé de ces loups mercenaires,
pour cinq sous de tabac envoyés aux galères.
Chers enfants de Cérès, ô chers agriculteurs !
Vertueux nourriciers de vos persécuteurs,
jusqu’à quand serez-vous, vers ces tristes frontières,
écrasés sans pitié sous ces mains meurtrières ?
Ne vous ai-je assemblés que pour vous voir périr
en maudissant les champs que vos mains font fleurir !
Un temps viendra sans doute où des lois plus humaines
de vos bras opprimés relâcheront les chaînes :
dans un monde nouveau vous aurez un soutien ;
car pour ce monde-ci je n’en espère rien.
extremum... quod te alloquor, hoc est.
le 31 mars 1769.

Collection: 
1769

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