Épître

 
Sitôt que d’Apollon un génie inspiré
Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s’amassent.
Ses rivales obscurcis autour de lui croassent ;
Et son trop de lumière, importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux.
(Boileau)

Ce ne sont pas les critiques injustes, plates ou violentes qui
font beaucoup de mal ; les éloges prodigués
sans discernement sont bien plus nuisibles.
(Grimm)

Il n’est point ici-bas de lumière sans ombre.
(Racine)

 
Tullius, est-il vrai qu’une obscure critique
Ait arrêté l’essor de ta muse énergique ?
Est-il vrai qu’elle ait pu, par d’incessants efforts,
De ton génie ardent comprimer les ressorts ?
Eh quoi ! des détracteurs auraient tant de puissance !
Ils réduiraient ton luth à garder le silence ;
Et ton talent, poète, au milieu de son cours
Se verrait, en ces lieux, obscurci pour toujours !
Profitant du sommeil de ta muse chérie,
Ils répandraient sur toi le fiel de l’ironie,
Et, fiers de leurs écrits, leur sotte vanité
Rirait de son triomphe avec impunité !
Non, non, tous les écrits et tous les commentaires
De ces censeurs nouveaux, insectes littéraires,
Jamais de tes beaux vers ne terniront l’éclat.
Que fait à ton talent l’ignoble plagiat
D’un critique en courroux ? son impuissant outrage
N’est que de son envie un éclatant hommage.
Poursuis ton vol rapide et ne t’étonne pas
Si tu vois la critique attachée à tes pas ;
Laisse gronder l’envie et relève la tête,
Comme un chêne puissant qui brave la tempête.
Vois cet aigle orgueilleux planer au haut des cieux :
Il méprise le ver qui rampe sous ses yeux.
Le fier Chimborazo, qu’assaille un noir orage,
Calme et majestueux, rit de sa vaine rage.
Sa tête est dans les cieux ; sa sublime hauteur
Voit l’océan mugir et rit de sa fureur.
Laisse tes envieux plongés dans l’ignorance,
Dédaigne leurs clameurs et leur sotte arrogance ;
Le mérite indigent est proscrit en tout lieu :
L’infortuné Gilbert expire à l’Hôtel-Dieu.
Mais que dis-je ? Gilbert ! quand le divin Homère,
Accablé par les ans et la douleur amère,
Dans la Grèce épandait les chants harmonieux
D’un sublime poème inspiré par les dieux,
Il fut partout en butte aux traits de l’ignorance,
Aux traits des envieux, dont l’aveugle démence
Prétendait rabaisser ses écrits immortels.
Qui lui firent, plus tard, élever des autels ;
Mais le juste avenir éternisa sa gloire,
Et dévoua Zoïle au mépris de l’Histoire.

Oui, c’est là, trop souvent, du génie éclatant
La seule récompense et le sort qui l’attend !
Toi qui, par une forte et puissante harmonie,
As su de PÉRENNES honorer le génie ;
De CONSTANT LEPOUZÉ digne apréciateur,
Viens t’asseoir à côté de ce charmant auteur,
Qui pour notre pays, par des veilles savantes,
D’Horace raviva les odes éclatantes.
Les feux de ton génie, au foyer de ton cœur,
Doivent se ranimer d’une divine ardeur.
Celui qui de l’Etna nous fit gravir la cime,
Qui de Niagara peignit l’affreux abîme ;
Celui-là pourra bien, par un nouvel essor,
Planer sur l’Hélicon, et s’élever encor.

Écouté, Tullius, notre ardente prière :
Poursuis, poursuis pour nous ta brillante carrière ;
Que tes rivaux de gloire, obscurcis, abattus,
Écrasés par ton art, ne se relèvent plus.
Oui ! qu’un nouvel ouvrage, écrit en traits de flamme,
Vienne flatter nos yeux et réjouir notre âme.
Ah ! si de la patrie un touchant souvenir,
Pour tes Chansons, t’assure un nom dans l’avenir,
Et si de Rien-ou-Moi notre orgueil se décore,
Il attend aujourd’hui de nobles chants encore !

Va ! ton destin est beau, digne fils d’Apollon !
Ton nom retentira dans le sacré vallon.
Si tu voguas longtemps sur la tourmente amère,
Si l’aveugle fortune, inconstante et légère,
Ne t’a point prodigué ses fragiles présents,
Tu dois t’en consoler par tes heureux talents.

Octobre 1838

Réponse de M. T. St.-Céran
À M. Alexandre Latil

Arbrisseau que courba le bras de la tempête,
Tu me dis : — Pauvre oiseau, j’abriterai ta tête
De la pluie et des vents : vois comme est gros le temps !
 — Tu ne sais pas que moi , jamais sous le feuillage,
Je n’ai fait résonner ma luette sauvage,
Et que je suis fils des autans !

Qu’emporté loin du nid dans un coup de tonnerre,
La tourmente, pour moi, fut la seconde mère
Qui berça mon enfance et me tendit le sein ;
Que l’ouragan m’entend jeter des cris de joie ;
Que du fier océan, où le bulbul se noie,
Mon aile fouette le bassin !

Je me croirais débile, et toujours dans l’enfance,
Si le Monde gardait à mon nom le silence.
La haine, c’est l’Amour et son brûlant flambeau !
Cela vit, cela veut, cela porte une face ;
Je souris quand son dard s’émousse à ma cuirasse !
L’indifférence est un tombeau !

Aux veines de la fleur qui le poison distille,
L’abeille va pomper pour doter son asile,
Un Pactole enivrant aux dorés flots de miel.
Mon cœur possède aussi la grande urne chimique
Qui transforme en nectar tout mortel narcotique,
Que je bois au banquet du ciel !

Sans l’envie un laurier est un rameau vulgaire,
Qui des hommes jamais ne fixe la paupière ;
D’aigle, avant la couvée, il me simule un nid.
C’est lorsque le génie, avec ses pleurs d’Achille,
L’a longtemps arrosé, que cette branche vile
Se change en rameau bénit !

Ami, quand cessera pour nous deux la bataille,
Si de notre âme encore on veut savoir la taille,
Exhibons aux regards notre glaive brisé !
Il faut pour qu’on le croie et noble et formidable,
Qu’il soit moins scintillant, moins au soleil semblable,
Et par des flots de sang bronzé !

Sans Xercès, qu’eût été le fier soldat de Sparte ?
Sans l’Anglais à Toulon, le géant Bonaparte ?
C’est peu d’avoir un cœur, il faut montrer ce cœur !
Il faut, pour rehausser du talent l’apanage,
Qu’il ait foulé le front du reptile sauvage,
Que de Python il soit vainqueur !

Collection: 
1834

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