O grand Théophile Gautier,
Roi des ciseleurs fantastique,
Toi qui touches d’un vol altier
Toutes les cimes artistiques :
O toi que l’Arabie ambra.
Hahroun-al-Raschid des Bohèmes.
Permets que dans ton Alhambra
Je chante au pied de tes poèmes.
Tes strophes d’azur ont bercé
Mes premiers jours en Allemagne.
Avant que mon pied n’eût pressé
Le sol fécond de Charlemagne.
Elles chantaient dans mon esprit.
Au bruit des forêts germaniques.
Et mon cœur, avec Gœthe, apprit
Tes vers benvnutocelliniques.
Au fond de mon œil curieux
Ils faisaient passer les mésanges
Que les temples mystérieux
Cachent dans leurs sveltes losanges.
Au pays des lacs constellés
Où du rêve naissent les orbes,
Sous l’azur des cieux étoiles
Qu’émeut la plainte des théorbes :
Les parfums des blonds orients
Où les Turcs vers Mahmoud s’aigayent,
Des Otahitis souriants
Que les larges baisers égayent ;
Les vagues modulations
De la danse des Bayadères,
Les ardentes émotions
Des coupes pleines de madères ;
La valse au vol silencieux
Des esprits couronnes de nimbes
Dont le corps frêle et gracieux
Tremble, inachevé, dans les limbes ;
Sous les taillis des bois sacrés
La course douteuse des nymphes,
Dont les tons blancs des dos nacrés
Révèlent de secrètes lymphes ;
Les chants du pâtre montagnard,
Aux refrains alpestres et simples,
Pendant qu’avec un vieux poignard
Il coupe les tiges des simples ;
Les hymnes des cœurs amoureux
Se souvenant de baisers acres,
Volés quand les parents entr’eux
De leurs biens supputaient les acres ;
Les jeux divers des rayons-bleus
Sur l’or et la pourpre des guêpes,
Quand le crépuscule onduleux
Au front du jour met ses longs crêpes ;
Les souvenirs des bruns pigeons
Qui voyagent toujours par couples
Et blanchissent où nous nageons
L’ivoire pur de leurs cous souples ;
L’éblouissement du conteur
Emporté par les djinns, tandis que
Deux péris à l’œil enchanteur
De la lune voilaient le disque ;
Les susurres des arbrisseaux
Que fleurit l’approche de Pâques,
Le clapotement des ruisseaux
Que jadis aimait tant Jean-Jacques ;
Le miroitement du glacier,
Près des pins que l’orage scalpe,
Et des grands lacs, lames d’acier,
Que tord le vent qui vient de l’alpe ;
Du monde embrasé des couleurs
Les splendeurs tout ensoleillées ;
Dans tout l’éclat des vieux mouleurs
Les formes grecques réveillées ;
Les horizons bleus et fuyants
Des cieux des mondes invisibles,
Parmi nos tourbillons bruyants
Eclos, empourprés et paisibles ;
Tous les ghazels épanouis
Dans le front du conteur arabe
Qui de diamants inouïs
Illumine chaque syllabe ;
Les marbres aux seins opulents
Ce la savoureuse Ionie,
Les blocs aux contours turbulents,
Pâmés au pouce du génie ;
Les découpement copieux
Des cathédrales dentellées,
Dont le moyen-âge pieux
Dore les voûtes constellées ;
La foi dans l’art malgré les cris
De ceux qui vont avec le siècle,
Qui marcheraient sur des cricris
Et se moquent de sainte Thècle ;
Voilà ce qui palpite et vit
Dans tes œuvres éblouissantes
Où l’œil de l’âme se ravit
En visions incandescentes.
Les hommes chanteront tes vers,
Miroir de la terre première,
Aussi longtemps que l’univers
Boira les flots de la lumière.