Lorsque avec les sons
Dont tu les complètes,
Tu fais des chansons
De mes odelettes,
Mille aspects divers
De grâce physique
Naissent dans mes vers
Avec ta musique !
A ta seule voix,
Tout en eux s’éveille
Et vit à la fois.
O rare merveille !
A ma vigne en fleur,
A ma moisson mûre,
Tu rends la couleur
Avec le murmure !
Au ciel rougissant
De clartés sans voiles,
La nuit en naissant
Frissonne d’étoiles,
Et sous les berceaux
Où sa voix touchante
Ravit les ruisseaux,
Le rossignol chante !
La biche qui court
Parmi les charmilles
S’arrête tout court,
Et des jeunes filles
Sous tes feux tremblants,
O lune incertaine,
Lavent leurs pieds blancs
Dans une fontaine.
C’est sous le bouleau,
Dont les feuilles sombres
Découpent dans l’eau
De légères ombres,
Et lorsqu’un éclair
Montre leurs visages,
On sent courir l’air
Dans ces paysages !
Derniers enchanteurs
Des âmes en fête,
O divins chanteurs,
Qui sur notre tête
Agitez encor
D’une main hardie
Les clochettes d’or
De la mélodie !
Dans l’azur secret,
Un sylphe voltige
Sur votre forêt
Où tout est prestige.
Chaque art a le sien,
Mais rien ne s’achève,
O musicien,
Qu’avec votre rêve !
Le monde amoureux
De la Poésie
Se sent plus heureux
Lorsqu’il s’extasie
Aux accords si doux
Nés de ce délire,
Mais c’est toujours vous
Qui tenez la lyre !
Mai 1855.