À Raoul Lebarbier

 
      Lorsque avec les sons
      Dont tu les complètes,
      Tu fais des chansons
      De mes odelettes,
      Mille aspects divers
      De grâce physique
      Naissent dans mes vers
      Avec ta musique !

      A ta seule voix,
      Tout en eux s’éveille
      Et vit à la fois.
      O rare merveille !
      A ma vigne en fleur,
      A ma moisson mûre,
      Tu rends la couleur
      Avec le murmure !

      Au ciel rougissant
      De clartés sans voiles,
      La nuit en naissant
      Frissonne d’étoiles,
      Et sous les berceaux
      Où sa voix touchante
      Ravit les ruisseaux,
      Le rossignol chante !

      La biche qui court
      Parmi les charmilles
      S’arrête tout court,
      Et des jeunes filles
      Sous tes feux tremblants,
      O lune incertaine,
      Lavent leurs pieds blancs
      Dans une fontaine.

      C’est sous le bouleau,
      Dont les feuilles sombres
      Découpent dans l’eau
      De légères ombres,
      Et lorsqu’un éclair
      Montre leurs visages,
      On sent courir l’air
      Dans ces paysages !

      Derniers enchanteurs
      Des âmes en fête,
      O divins chanteurs,
      Qui sur notre tête
      Agitez encor
      D’une main hardie
      Les clochettes d’or
      De la mélodie !

      Dans l’azur secret,
      Un sylphe voltige
      Sur votre forêt
      Où tout est prestige.
      Chaque art a le sien,
      Mais rien ne s’achève,
      O musicien,
      Qu’avec votre rêve !

      Le monde amoureux
      De la Poésie
      Se sent plus heureux
      Lorsqu’il s’extasie
      Aux accords si doux
      Nés de ce délire,
      Mais c’est toujours vous
      Qui tenez la lyre !

Mai 1855.

Collection: 
1843

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