À mon père

 
Depuis que l’on me vit en pleurs parmi des marbres,
Dans l’ombre des caveaux et l’ombre des cyprès,
Cinq fois le vent d’automne a dépouillé les arbres,
La neige a blanchi les forêts.

Cinq fois le doux printemps a réchauffé la pierre
Et rendu chants et joie au bosquet endormi,
Depuis que tu fermas à jamais ta paupière,
O mon père ! ô mon guide ! ô mon meilleur ami !

Bien des soleils ont lui sur ta couche dernière ;
Mais au fond de mon cœur, lassé du poids des jours,
La blessure que fit ton départ, ô mon père,
Saigne encore, saigne toujours.

Oui, constamment en moi je sens cette blessure,
Et le baume du temps ne saura la fermer,
Car je te chérissais d’un amour sans mesure,
Comme un fils pieux seul est capable d’aimer.

Je te vouais un culte ardent, franc et sincère,
Et devant ton cœur pris du suprême frisson,
Devant ton corps drapé dans les plis du suaire,
Je sentis sombrer ma raison.
 
Moi que n’avait jamais ployé nulle tempête,
Moi qui narguais les coups du destin triomphant,
Dont la neige des ans avait blanchi la tête,
Je pleurai tout un jour avec des yeux d’enfant.

Je pleurai tout un jour, incliné sur ta couche,
Serrant ta main raidie, ô noble et saint vieillard,
Et fixant un regard trouble et presque farouche
Sur tes prunelles sans regard.

J’avais perdu l’ami qui jamais ne vous blesse,
Qui vous ouvre son cœur en vous ouvrant ses bras,
Vous reproche un écart d’une voix qui caresse, ―
Et s’attache toujours comme une ombre à vos pas.

J’avais vu se voiler l’astre de la sagesse,
Dont les feux si longtemps me montrèrent le port…
Et j’étais resté seul, seul avec ma tristesse,
Seul avec le froid de la mort.

La voix qui me disait jadis : « Prie, aime, espère »,
S’était évanouie, et pour toujours, hélas !
Et je n’entendais plus, penché sur toi, mon père,
Que les plaintes du vent et les sanglots du glas.

Et lorsque ton cercueil disparut sous la terre,
Dans le gouffre implacable où nul rayon n’a lui,
Je crus que tout mon être au fond du cimetière
S’ensevelissait avec lui.
 
Depuis lors je supplie en vain Dieu qu’il m’exauce,
Je lui demande en vain la joie et le repos ;
Je pleure, et je voudrais qu’en la nuit de ta fosse
Un de mes pleurs coulât, pour y baiser tes os.

L’amour que je te garde à tout saura survivre,
Fera battre toujours mon cœur inconsolé,
Et je voudrais qu’un vers immortel dans mon livre
Redit ton nom immaculé.

Ce nom sans tache, père, en tremblant je le trace.
Il brille sur la page où mon front a pâli,
Et comme un talisman sacré que l’on embrasse
Saura le préserver de l’éternel oubli.

Collection: 
1870

More from Poet

Notre langue naquit aux lèvres des Gaulois.
Ses mots sont caressants, ses règles sont sévères,
Et, faite pour chanter les gloires d'autrefois,
Elle a puisé son souffle aux refrains des trouvères.

Elle a le charme exquis du timbre des Latins,
Le séduisant brio du...

La nuit d'hiver étend son aile diaphane
Sur l'immobilité morne de la savane
Qui regarde monter, dans le recueillement,
La lune, à l'horizon, comme un saint-sacrement.
L'azur du ciel est vif, et chaque étoile blonde
Brille à travers les fûts de la forêt profonde....

Derrière deux grands boeufs ou deux lourds percherons,
L'homme marche courbé dans le pré solitaire,
Ses poignets musculeux rivés aux mancherons
De la charrue ouvrant le ventre de la terre.

Au pied d'un coteau vert noyé dans les rayons,
Les yeux toujours fixés sur...

C'est un après-midi du Nord.
Le ciel est blanc et morne. Il neige ;
Et l'arbre du chemin se tord
Sous la rafale qui l'assiège.

Depuis l'aurore, il neige à flots ;
Tout s'efface sous la tourmente.
A travers ses rauques sanglots
Une cloche au loin se...

 
À Mme C. P.

La jeune mère, avec son fils, sur le gazon
Du parc vient de humer la brise printanière.
Le soleil moribond de sa lueur dernière
Empourpre vaguement le bord de l’horizon.

À peine le baiser du vent met un frisson
Dans les...