À Mathurin Régnier

 

Vieux Mathurin, poète aux âpres mélodies,
J’aime de ton bon vers les allures hardies,
Quand il va débraillé, sans grègues, sans chapeau,
Ainsi qu’un franc luron, au sortir du bordeau.
Tu savais, ô Régnier, que l’ardente satire
A besoin de piment pour allumer son ire.
Ton robuste Apollon ne connut pas cet art
De jeter sur les mots des masques et du fard.
Il aimait, aux lueurs d’une fauve lanterne,
S’accouder, à son aise, au banc de la taverne,
Et, la bouteille en main, dire leur fait aux gens,
Sans crainte des rhéteurs, des sots, ni des sergents.
Comme une artère chaude et de sang inondée,
À chacun de tes vers on sent battre l’idée,
Et dans ta haute phrase où la colère bout,
Tout est vivant, tout marche, et se dresse debout.
Oh ! que j’aime à te voir, quand, le poing sur la hanche,
De Ronsard bafoué, seul, tu prends la revanche,
Et de ton vers penseur flagelles sur le dos
Le Malherbe qui pèse et qui gratte des mots.
Cependant que déjà, maître, ta main hardie
Aux Molières futurs taille la comédie,
Et, des voiles bénins dégageant ton tableau,
Prépare des rougeurs au pudique Boileau.

Certes, l’art des savants et de la pédantaille,
Comme un manteau trop court, n’allait pas à ta taille,
Car ton libre génie, avec ses pieds d’airain,
Quand il entre en un vers, y marche en souverain,
Et parfois, sans façon, dans ta franche satire,
S’entr’ouvre l’hiatus, comme un éclat de rire !

Collection: 
1841

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