À M. Soulange M***

 
Fortunate senex !
(VIRGILE.)

Dives opum variarum.
(VIRGILE.)

O fortuné vieillard ton sort me fait envie  !
Que ne puis-je, imitant ta solitaire vie,
Comme toi voir couler, créole Robinson,
Mes jours comme un ruisseau dans un désert sans nom !
Quel est donc ton secret ? et quoi ! tu vis tranquille,
Content, insoucieux, près du Bayou-de-l’Ile ?
Homme prédestiné ! pour toi jamais d’ennuis !
Le far niente des jours et le calme des nuits,
Tout pour toi ! L’on dirait à te voir, vieux Soulange,
Que Dieu mit ton bonheur sous la garde de l’ange.
Ah ! tu n’as point, enfant, loin de l’arbre natal,
Entraîné comme nous au ciel oriental,
Comme nous, tu n’as point, fils de la solitude,
Connu ce miel-poison que l’on nomme l’étude !
Et que te font, dis-moi, dans ton obscurité,
Ces grands problèmes : Dieu, Vie, Immortalité ?
A toi qu’importe hélas ! et ce triple mystère,
Et le secret des cieux qu’en vain cherche la terre ?
Point de rêves pour toi, vaine aspiration :
Tu vis comme un oiseau de la création.
Sous tes copalmes frais, à l’harmonieux cône,
Aux brises de la nuit, quand la forêt frissonne,
Pour toi, d’enivremens et de spasmes saisi,
L’île semble un Éden, et Claire une Grisi  !

Bonfouca (Louisiane), février 1837.

Collection: 
1830

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