À Léon Gatayes

 
      Avec ses sanglots, l’instrument rebelle,
      Qui sent un pouvoir plus fort que le sien,
      Donne l’harmonie enivrante et belle
           Au musicien.

      Le cheval meurtri, qui saigne et qui pleure,
      Cède au cavalier, rare parmi nous,
      Dont aucun effort ne peut avant l’heure
           Lasser les genoux.

      De même d’abord, le Rhythme farouche
      Devant la Pensée écume d’horreur,
      Et, pour se soustraire au dieu qui le touche,
           Se cabre en fureur.

      Mais bientôt, léchant la main qui l’opprime,
      Il marche en cadence, et comme par jeu,
      Son vainqueur lui met le mors de la Rime
           Dans sa bouche en feu.

      Tu le sais, ami, toi dont l’Art s’honore,
      Homme à la main souple, au jarret d’acier,
      Qui fais obéir la harpe sonore
           Et l’ardent coursier ;

      Lorsque aimé d’Isis aux triples ceintures,
      Un homme intrépide a baisé son sein,
      La création et les créatures
           Suivent son dessein.

      Le Génie en feu donne à l’âme altière
      Le Commandement, ce charme vanté,
      Et l’Esprit captif dans l’âpre Matière
           Cède épouvanté.

Mai 1855.

Collection: 
1843

More from Poet

  • Par le chemin des vers luisants,
    De gais amis à l'âme fière
    Passent aux bords de la rivière
    Avec des filles de seize ans.
    Beaux de tournure et de visage,
    Ils ravissent le paysage
    De leurs vêtements irisés
    Comme de vertes demoiselles,
    Et ce refrain...

  • Italie, Italie, ô terre où toutes choses
    Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
    Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
    Des sorbets à la neige et des ballets divins !

    Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
    Voici qu'on pense à toi,...

  • A travers le bois fauve et radieux,
    Récitant des vers sans qu'on les en prie,
    Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
    Les Comédiens, rois et demi-dieux.

    Hérode brandit son glaive odieux ;
    Dans les oripeaux de la broderie,
    Cléopâtre brille en jupe fleurie...

  • Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
    Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
    Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
    Dans votre vêtement de toutes les saisons !
    Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
    Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

  • Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
    Escalade la roche aux nobles altitudes.
    Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
    Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

    Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
    Marche au hasard ; gravis les sentiers les...