À Alfred Dehodencq

 
      Tenir la lumière asservie
      Lorsqu’elle voudrait s’envoler,
           Et voler
      A Dieu le secret de la vie ;

      Pour les mélanger sur des toiles
      Dérober même aux cieux vengeurs
           Leurs rougeurs
      Et le blanc frisson des étoiles ;

      Comme on cueille une fleur éclose,
      Ravir à l’Orient en feu
           Son air bleu
      Et son ciel flamboyant et rose ;

      Pétrir de belles créatures,
      Et sur d’éblouissants amas
           De damas
      Éparpiller des chevelures ;

      Inonder de sang le Calvaire
      Ou jeter un éclat divin
           Sur le vin
      Qu’un buveur a mis dans son verre ;

      Se réjouir des pierreries,
      Et jeter le baiser vermeil
           Du soleil
      Jusque sur les rouges tueries ;

      Créer des êtres, et leur dire :
      Misérables, c’est votre tour !
           Que l’Amour
      De sa folle main vous déchire ;

      Enfin pour ce monde risible
      Forçant la couleur à chanter,
           L’enchanter
      Par une musique visible,

      Voilà vraiment ce que vous faites,
      Peintres ! qui pour nous préparez
           Et parez
      Sans repos d’éternelles fêtes !

      Ouvriers, inventeurs, génies !
      Par un miracle surhumain,
           Votre main
      Réalise ces harmonies

      Où la couleur qui se déploie
      En accords de la nuit vainqueurs,
           Dans nos cœurs
      Fait jaillir des sources de joie.

      Et nos fronts sont baignés d’aurore.
      Mais vous, par un retour fatal,
           L’Idéal
      Vous martyrise et vous dévore.

      Et vos enchantements sublimes,
      Vous les payez de votre chair ;
           Il est cher,
      Le feu qu’on vole sur les cimes !

      Si tu montas avec délice
      L’escalier bleu des paradis
           Interdits,
      Un inexprimable supplice

      Te punit, ô rêveur étrange
      Qui sus donner l’illusion
           Du rayon
      De lumière où s’envole un Ange ;

      Et lorsque tout le ciel flamboie
      Dans ta prunelle ivre d’amour,
           Un vautour
      Vient manger ton cœur et ton foie.

24 novembre 1872.

Collection: 
1843

More from Poet

Par le chemin des vers luisants,
De gais amis à l'âme fière
Passent aux bords de la rivière
Avec des filles de seize ans.
Beaux de tournure et de visage,
Ils ravissent le paysage
De leurs vêtements irisés
Comme de vertes demoiselles,
Et ce refrain...

Italie, Italie, ô terre où toutes choses
Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses
Des sorbets à la neige et des ballets divins !

Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
Voici qu'on pense à toi,...

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu'on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d'orfèvrerie,
Les Comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux ;
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie...

Grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune
Le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,
Bondir sur le tapis folâtre des gazons,
Dans votre vêtement de toutes les saisons !
Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,
Fleur de neige, ô Cypris ! toi...

Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard ; gravis les sentiers les...