Veux-tu fuir ?

 
Loin d’ici veux-tu fuir ? pauvre couple enchaîné,
Veux-tu nous envoler vers l’île où je suis né ?
Je suis las de contrainte et de ruse et d’entrave.
Le ciel ne m’a point fait avec un cœur d’esclave !
Me cacher pour te voir, pour t’aimer, ô tourment !
Je veux vivre en plein air et t’aimer librement !
Ce monde est faux et lâche, et ses hypocrisies
M’allument dans le sang de sourdes frénésies.
J’étouffe ici ! je meurs ! je suis las de souffrir !
Je veux vivre et t’aimer librement ou mourir !
Et puis, ton ciel est froid, il m’attriste, il m’obsède.
Moi, né sous le soleil, j’aime un azur plus tiède,
Des horizons baignés de brise et de splendeur,
De fiers sommets empreints de sauvage grandeur,
Des flots lointains et bleus où blanchissent des voiles,
Des jours resplendissants, des nuits où les étoiles
Ouvrent dans l’air lacté leurs lumineux réseaux :
Telles des perles d’or tremblent au fond des eaux.

Aux bords des mers de l’Inde il est un doux rivage,
Sol riche où tout est grand, immaculé, sauvage ;
Où l’arbre, débordant de sève et de santé,
Lutte avec les grands monts de force et de beauté ;
Où la liane d’or aux cloches de topaze,
Tapissant les rochers de leur cime à leur base,
Couvrant des mangliers les feuillages amers,
Trempe ses verts cheveux dans le saphir des mers.
Là, tout est vie et flamme et senteurs et murmures,
Montant des flots, tombant des profondes ramures ;
Là, sur les hauts sommets des vents d’est abrités,
Nids d’ombre et de parfums, sont des vals enchantés,
Où, sur les beaux gazons semés de blanches perles,
Le frais matin s’éveille au sifflement des merles,
Se glisse à pas furtifs dans les mousses en pleurs,
Pose un baiser d’amant sur la lèvre des fleurs,
En souriant se mire aux ondes transparentes,
De son souffle attiédit les brises murmurantes,
Et, léger comme un songe, au toucher du soleil
S’envole et disparaît dans un rayon vermeil.

C’est dans un de ces nids, retraite parfumée,
Qu’il ferait bon de vivre, ô douce bien-aimée !
Là, tels que deux ramiers et seuls avec nos cœurs,
Cultivant dans la paix le sol de nos bonheurs,
Retrempant notre amour aux vents des solitudes,
Dépouillant du présent les lourdes lassitudes,
Oubliant des cités les aigreurs et le fiel,
Nous vivrons plus heureux, vivant plus près du ciel.

Fuyons donc ! oh ! fuyons ce monde et cette ville,
Cité sonore et triste, éclatante et servile,
Où le sol n’est que boue, où le ciel n’a que nuit,
Où je n’ai rien trouvé que misère et que bruit !

Eh ! que me font à moi les arts, la poésie !
Ma muse à moi, c’est toi - Viens dans ma Salazie,
Viens sur le mont natal de grands palmiers couvert,
Habiter, pauvre et libre, un toit de vétiver.
Créons-nous un asile où des eaux cristallines
Iront en serpentant des prochaines collines,
Par des sentiers bordés de fraise et d’ananas,
Désaltérer nos fleurs, filles de tous climats.
Près de la violette et du jasmin candide
Croîtra le lys des eaux, le nénuphar splendide ;
Sous la liane-mousse au bleu reflet changeant
Le muguet cachera ses clochettes d’argent ;
Le lilas, inclinant sa grappe virginale,
Sourira dans la brise aux roses du Bengale ;
La jam-rose aux lauriers mariera ses berceaux,
Et pour toi sous leur dais chanteront les oiseaux ;
Et sur les clairs étangs, nageant dans son image,
La poule d’eau viendra te montrer son plumage ;
Et toi, belle et sereine, Ève de cet Éden,
De tes mains cultivant les fruits de ton jardin,
Savourant des hauts lieux les tranquilles délices,
De l’amour sous les bois respirant les calices,
Tu cueilleras enfin, secrète et chaste fleur,
Dans l’air vierge des monts le lys vrai du bonheur !

O rêves de chaumière, ô rêves de verdure,
Rêves si doux à l’heure où la bise est si dure,
Pour m’alléger le poids de l’hiver et des jours,
Sous ces climats glacés visitez-moi toujours !
A mon cœur fatigué versez vos molles trêves !
Comme une aube splendide, allumez-vous, mes rêves,
Illuminez mon ciel ! baignez mon horizon,
Mirages lumineux, d’air tiède et de gazon ;
Évoquez sous mes yeux des visions charmantes
D’azur, de claires eaux, de tiges embaumantes ;
Secouez sur mon front, avec mille senteurs,
Les accords de la brise et des oiseaux chanteurs.
Et, puisque du présent les heures sont amères,
Puisque rien ne m’est doux, hors vos douces chimères,
O mes rêves ! Versez dans mon sein tourmenté
L’oubli, l’heureux oubli de la réalité !

Collection: 
1835

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