Dans le fronton d’un temple antique,
Deux blocs de marbre ont, trois mille ans,
Sur le fond bleu du ciel attique
Juxtaposé leurs rêves blancs ;
Dans la même nacre figées,
Larmes des flots pleurant Vénus,
Deux perles au gouffre plongées
Se sont dit des mots inconnus ;
Au frais Généralife écloses,
Sous le jet d’eau toujours en pleurs,
Du temps de Boabdil deux roses
Ensemble ont fait jaser leurs fleurs.
Sur les coupoles de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés
Au nid où l’amour s’éternise
Un soir de mai se sont posés.
Marbre, perle, rose, colombe,
Tout se dissout, tout se détruit ;
La perle fond, le marbre tombe,
La fleur se fane, et l’oiseau fuit.
En se quittant, chaque parcelle
S’en va dans le creuset profond
Grossir la pâte universelle
Faite des formes que Dieu fond.
Par de lentes métamorphoses,
Les marbres blancs en blanches chairs ;
Les fleurs roses en lèvres roses
Se refont dans des corps divers.
Les ramiers de nouveau roucoulent
Au cœur de deux jeunes amans,
Et les perles en dents se moulent
Pour l’écrin des rires charmans.
De là naissent ces sympathies
Aux impérieuses douceurs,
Par qui les ames averties
Partout se reconnaissent sœurs.
Docile à l’appel d’un arome,
D’un rayon ou d’une couleur,
L’atome vole vers l’atome
Comme l’abeille vers la fleur.
L’on se souvient des rêveries
Sur le fronton ou dans la mer,
Des conversations fleuries
Près de la fontaine au flot clair,
Des baisers et des frissons d’ailes,
Sur Saint-Marc aux coupoles d’or,
Et les molécules fidèles
Se cherchent et s’aiment encor.
L’Amour oublié se réveille,
Le passé vaguement renaît ;
La fleur sur la bouche vermeille
Se respire et se reconnaît.
Dans la nacre où le rire brille
La perle revoit sa blancheur ;
Sur une peau de jeune fille
Le marbre ému sent sa fraîcheur.
Le ramier trouve une voix douce,
Écho de son gémissement ;
Toute résistance s’émousse,
Et l’inconnu devient l’amant.
Vous devant qui je brûle et tremble,
Quel flot, quel fronton, quel rosier,
Quel dôme nous connut ensemble,
Perle ou marbre, fleur ou ramier ?
Un jour, au doux rêveur qui l’aime,
En train de montrer ses trésors,
Elle voulut lire un poème,
Le poème de son beau corps.
D’abord, superbe et triomphante,
Elle apparut dans son éclat,
Traînant avec des airs d’infante
Un flot de velours nacarat ;
Telle qu’au rebord de sa loge
Elle brille aux Italiens,
Écoutant passer son éloge
Dans les chants des musiciens.
Ensuite, en sa verve d’artiste,
Laissant tomber l’épais velours,
Dans un nuage de batiste
Elle ébaucha ses fiers contours.
Glissant de l’épaule à la hanche,
La chemise aux plis nonchalans,
Comme une tourterelle blanche,
Vint s’abattre sur ses pieds blancs.
Pour Apelle où pour Cléomène,
Elle semblait, marbre de chair,
En Vénus Anadyomène
Poser nue au bord de la mer.
De grosses perles de Venise
Coulaient au lieu de gouttes d’eau,
Grains laiteux qu’un rayon irise
Sur le frais satin de sa peau.
Oh ! quelles ravissantes choses,
Dans sa divine nudité,
Avec les strophes de ses poses,
Chantait cet hymne de beauté !
Comme les flots baisant le sable
Sous la lune aux tremblans rayons,
Sa grace était intarissable
En molles ondulations.
Mais bientôt, lasse d’art antique,
De Phidias et de Vénus,
Dans une autre stance plastique
Elle groupe ses charmes nus.
Sur un tapis de cachemire,
C’est la sultane du sérail,
Riant au miroir qui l’admire
Avec un rire de corail ;
La Géorgienne indolente,
Avec son souple narguilhé,
Étalant sa hanche opulente,
Un pied sous l’autre replié,
Et, comme l’odalisque d’Ingres,
De ses reins cambrant les rondeurs,
En dépit des vertus malingres,
En dépit des maigres pudeurs !
Paresseuse odalisque, arrière !
Voici le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière ;
Voici la beauté dans l’amour !
Sa tête penche et se renverse ;
Haletante, dressant les seins
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins.
Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d’argent bruni,
Et l’on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l’infini.
D’un linceul de point d’Angleterre,
Que l’on recouvre sa beauté :
L’extase l’a prise à la terre ;
Elle est morte de volupté !
Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps !
Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux !
De leur col blanc courbant les lignes,
On voit, dans les contes du Nord,
Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
Nager en chantant près du bord ;
Ou, suspendant à quelque branche
Le plumage qui les revêt,
Faire luire leur peau plus blanche
Que la neige de leur duvet.
De ces femmes il en est une,
Qui chez nous descend quelquefois,
Blanche comme le clair de lune
Sur les glaciers dans les cieux froids ;
Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
A des régals de chair nacrée,
A des débauches de blancheur !
Son sein, neige moulée en globe,
Contre ses camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe,
Soutient des combats insolens.
Dans ces grandes batailles blanches,
Satin et fleurs ont le dessous,
Et, sans demander leurs revanches,
Jaunissent comme des jaloux.
Sur les blancheurs de son épaule,
Paros au grain éblouissant,
Comme dans une nuit du pôle
Un givre invisible descend.
De quel mica de neige vierge,
De quelle moelle de roseau,
De quelle hostie et de quel cierge
A-t-on fait le blanc de la peau ?
A-t-on pris la goutte lactée
Tachant l’azur du ciel d’hiver,
Le lis à là pulpe argentée,
La blanche écume de la mer ;
Le marbre blanc, chair froide et pâle,
Où vivent les divinités ;
L’argent mat, la laiteuse opale
Qu’irisent de vagues clartés ;
L’ivoire, où ses mains ont des ailes,
Et, comme des papillons blancs,
Sur la pointe des notes frêles
Suspendent leurs baisers tremblans ;
L’hermine vierge de souillure,
Qui, pour abriter leurs frissons,
Ouate de sa blanche fourrure
Les épaules et les blasons ;
Le vif argent aux fleurs fantasques,
Dont les vitraux sont ramagés ;
Les blanches dentelles des vasques,
Pleurs de l’ondine en l’air figés ;
L’aubépine de mai qui plie
Sois les blancs frimas de ses fleurs ;
L’albâtre où la mélancolie
Aime à retrouver ses pâleurs ;
Le duvet blanc de la colombe
Neigeant sur les toits du manoir,
Et la stalactite qui tombe,
Larme blanche de l’antre noir ;
Des Groenlands et des Norvèges
Vient-elle avec Seraphita ?
Est-ce la madone des neiges ;
Un sphinx blanc que l’hiver sculpta,
Sphinx enterré par l’avalanche,
Gardien des glaciers étoilés,
Et qui, sous sa poitrine blanche,
Cache de blancs secrets gelés ?
Sous la glace où calme il repose,
Oh ! qui pourra fondre ce cœur ?
Oh ! qui pourra mettre un ton rose
Dans cette implacable blancheur ?