Un groupe de Bohémiens
Vient de s’arrêter dans la rue…
Ils voyagent avec leurs biens
Traînés par un boiteux qui rue.
Cheminant par monts et par vaux,
Épris de la grande nature,
Ils font le trafic des chevaux
Et disent la bonne aventure.
Ils ont fait halte, vers midi,
Étalant tout leur patrimoine…
Le cheval, qui n’est pas bandit,
Hennit pour avoir son avoine.
Sur le toit du taudis roulant,
Un grand singe à la barbe grise
Danse et gambade en miaulant
Et fait voir toute sa bêtise.
Un vieillard, l’habit plein d’accrocs,
Est assis à la vitre unique…
Au seuil un chien montre ses crocs
Au passant qui lui fait la nique.
Le dogue pousse un aboiement,
Quand quelque gamin tyrannique
Se donne le fol agrément
De faire ruer la bourrique.
Ils sont indolents, paresseux,
Vêtus comme des saltimbanques ;
Cependant leurs goussets crasseux
Sont gonflés de billets de banques.
On ne peut les habituer
Au travail : le vol les enivre.
Ils sont trop lâches pour tuer,
Mais aussi trop lâches pour vivre.
Ces gueux n’ont d’autre logement
Qu’une cahute vermoulue
Où règne despotiquement
Un hercule à la peau velue.
Le cabanon marche avec eux
Tiré par l’animal en nage.
Ils y vivent sales, visqueux,
À l’étroit comme en une cage.
Deux petits garçons, à l’œil noir,
Sont descendus de la voiture
Et cherchent, barrant le trottoir,
A vendre une immonde imposture.
La foule leur fait des affronts.
Le plus vieux, mécontent, exhale
Sa mauvaise humeur en jurons,
Tendant quelquefois sa main sale.
Près d’eux, souriant aux badauds
Attroupés devant une échoppe,
Leur mère, un enfant sur le dos,
S’offre pour tirer l’horoscope.
Mais elle a beau montrer ses dents
Dont l’émail sans tache étincelle,
Et rouler deux grands yeux ardents,
Rien ne tombe à son escarcelle.
Soudain le père pousse un cri…
La famille rentre frileuse.
A son passage, l’homme, aigri,
Lève sa grosse main calleuse.
Il parle, l’air terrifiant,
À la femme qui se dérobe
Pour donner le sein à l’enfant
Qui s’attache au pan de sa robe.
Et pendant que sur ses genoux
La mère veut endormir l’ange,
Elle répond à son époux
Par des mots tout suintants de fange.
Au fond de cet intérieur
Où l’œil avec dégoût se plonge, ―
Le front mutin et l’air rieur,
Pressant les pores d’une éponge,
Une jeune fille est en train
De laver une vieille Cène
Et passe sur Jésus sa main
En chantant un couplet obscène.
Cependant le beau soleil d’or,
Dont rien ne peut souiller la coupe,
Toujours clément, répand encor
Des rayons dorés à ce groupe.
Et la nuit peut-être un oiseau
Vient-il du ciel une minute
Voir par la vitre le berceau
Qui rayonne dans la cahute.