À Chopin

 
Prestigieux rival des grands maîtres d’Europe,
Poitrinaire à la fois viril et défaillant,
Tu fus un être unique, et le cœur d’un vaillant
Battait robustement sous ta frêle enveloppe.

Aux plus grandes douleurs sachant te résigner,
Tu te montrais pourtant irascible et morose,
Et quelqu’un nous a dit que le pli d’une rose
Pouvait meurtrir ton cœur et le faire saigner

Et sitôt que l’on fait résonner ta musique,
Sitôt que l’on entend tes accords palpiter,
On croit ouïr ton âme en sanglots éclater,
Ô virtuose étrange ! ô sublime phtisique !

Même quand ton génie, oubliant ses douleurs,
Dans les notes veut faire étinceler le rire,
Sous tes doigts décharnés le piano soupire,
Et tes scherzos légers semblent mouillés de pleurs.

Notre esprit s’épouvante et s’emplit de ténèbres
En sondant de ton cœur le gouffre palpitant,
Et sur tes mazurkas, si folâtres pourtant,
Voltige l’écho sourd de tes marches funèbres.
 
Mais, parmi les sanglots du grand flot musical
Qui rend les fronts songeurs et les cœurs taciturnes,
A travers les accords plaintifs de tes nocturnes,
On distingue toujours le fier accent natal.

L’âme de la Pologne en toi devait survivre ;
Aussi dans ta Berceuse au murmure idéal
Il nous semble écouter le souffle boréal
Et le balancement des sapins blancs de givre.

Patriote toujours sublime de fierté,
Tu chantes ton pays, et ta moindre ballade
Evoque les douleurs d’une race malade
Qui marche vers la mort ou vers la liberté.

Tu chantes ta patrie en des accents suaves,
Et, pendant que les sons ruissellent sous tes mains,
La douce mélodie entre ses bras divins
Emporte tous les cœurs vers la terre des Slaves.

La vague de tes chants se déroule à plein bord,
Et tu fais palpiter cette onde mélodique
Comme à travers la brume âpre et mélancolique
Qui flotte sur les eaux de l’Océan du nord.

L’esprit toujours hanté d’indicibles délires,
Tu fais pâlir les fronts, épanouir les cœurs ;
Tu sais entremêler dans tes accents vainqueurs
De l’ombre et des rayons, des pleurs et des sourires.
 
Pleins de soupirs d’amour, de longs cris affolés,
Tes airs versent en nous l’ivresse et les alarmes,
Et toi seul dans tes chants as mis assez de larmes
Pour pleurer sur les morts et sur les exilés.

Non, divin maestro, jamais muse attendrie
N’a pu comme la tienne exprimer les sanglots,
Rendre les cris de l’âme et le râle des flots.
Nul n’a su mieux que toi célébrer la patrie.

Aussi, quand s’est ouvert le funèbre caveau
Où devra reposer toujours ton front d’artiste,
La Musique a pleuré son amant le plus triste,
L’arbre national son plus tendre rameau.

Collection: 
1904

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