Un clair de lune sous les tropiques

 
Combien de fois, ô Lune, en ces paisibles heures
Où l’ombre de la nuit s’épand sur nos demeures,
Quand ton globe d’argent montait à l’horizon,
J’ai promené mon rêve à travers le gazon
Où tes rayons lactés glissaient avec mollesse !
Des saules éplorés éclairant la tristesse,
Tu dormais à mes pieds sur la mousse et les fleurs,
Et, du dôme des bois perçant les profondeurs,
Tu blanchissais là-bas les filaos des tombes,
Les rocs du cap Bernard que hantent les palombes.
Tu planais sur les monts comme l’ange des nuits,
Et ta calme lumière endormait mes ennuis ;
Et la belle-de-nuit, frêle et mystérieuse,
S’ouvrait aux blancs reflets de ta clarté rêveuse.
Comme elle je sentais mon cœur s’épanouir,
Et les troubles secrets en moi s’évanouir.
Et sous ton disque pur dont le jour la captive,
Et seule à mes côtés, la muse moins craintive
A la brise des soirs abandonnait ses vers
Que semblait écouter le silence des airs.

Et cette nuit, sur l’onde où ma nef est bercée,
Je m’abandonne encore à ma vague pensée
En te voyant flotter sous le ciel vaste et pur,
Comme un navire aussi dans une mer d’azur.
Qu’il est doux de rêver à tes muettes flammes
Qui viennent près de moi se jouer dans les lames !
Tu sembles effleurer d’un vol mystérieux
Le flot calme et sans fond de l’océan des cieux ;
Et le rayon qui pleut de ton globe nocturne
Vient baigner ma paupière et mon front taciturne.

Bel astre, n’es-tu pas le fortuné séjour
Des vivants dont les yeux se sont fermés au jour,
L’asile aérien, la flottante demeure
De ceux qui sont partis et qu’ici-bas l’on pleure ?
Peut-être que l’un d’eux, en ce même moment
Où mon œil te contemple au fond du firmament,
Suit des claires hauteurs de ta paisible sphère
Notre globe natal, notre Éden, notre terre,
Dont l’orbe voyageur, dans l’éther emporté,
De l’espace et du temps parcourt l’immensité.
Ah ! quand la mort bénie aura clos ma paupière,
Mon âme libre enfin de sa prison grossière,
Dans ce fluide éther déployant son essor,
Ira se reposer sur ta planète d’or !
Là, tel qu’un exilé dont la vue attendrie
Revoit avec ivresse et larmes sa patrie,
Mais qui, des jours passés gardant le souvenir,
Songe au pays lointain qu’il apprit à bénir ;
Âme heureuse et rendue à la cité première,
Je chercherai des yeux à ta pâle lumière
La très chère planète où j’ai reçu le jour
Et la suivrai longtemps d’un long regard d’amour.
Je me rappellerai les lieux où mon enfance
Croissait libre et déjà songeuse, et sans défense ;
Où j’écoutais - soupir monotone et lointain -
La complainte du nègre et du bobre africain ;
Où le souffle clément des brises alizées
Rafraîchit de nos fleurs les urnes épuisées ;
Où l’oiseau du Bengale et les jeunes ramiers
Viennent fermer leur aile à l’ombre des palmiers ;
Où les ruisseaux suivant leur cours par les savanes
Portent leur frais murmure au seuil de nos cabanes
Je me rappellerai mon splendide soleil
Fécondant nos rochers de son rayon vermeil,
Et ces arbres dont l’ombre, abritant ma jeunesse,
Berçait de mes vingt ans l’africaine mollesse :
L’épais tamarinier où j’aimais à m’asseoir,
Et qui ferme sa feuille aux approches du soir ;
Le letchy balançant ses grappes de fruits roses,
Le manguier de son dôme ombrageant les jam-roses,
Et la colline ombreuse exhalant ses fraîcheurs,
D’où l’œil voit sur les mers la barque des pêcheurs ;
Le front aérien des Salazes sublimes
Dont aucun pied humain n’a profané les cimes.
Je me rappellerai les bords de la Dumas,
Les plaines du Champborne aux sveltes mimosas :
C’est là que j’ai grandi sous les yeux de ma mère ;
C’est là que s’élevait son agreste chaumière,
Dont le toit dominait les vastes champs de riz,
Comme un nid balancé par les rameaux fleuris.
Je me rappellerai ces lieux de ma naissance
Qu’une enfant, notre sœur, parfumait d’innocence ;
Et mon âme et mes yeux auront des pleurs d’amour,
Et sous l’azur sacré du céleste séjour,
Mariant ses accords à ma voix attendrie,
La lyre chantera ma terrestre patrie.

Collection: 
1835

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