Tristement

Obsédé par ces mots, le veuvage et l’automne,
Mon rêve n’en veut pas d’autres pour exprimer
Cette mélancolie immense et monotone
Qui m’ôte tout espoir et tout désir d’aimer.

Il évoque sans cesse une très-longue allée
De platanes géants dépouillés à demi,
Dans laquelle une femme en grand deuil et voilée
S’avance lentement sur le gazon blêmi.

Ses longs vêtements noirs lui faisant un sillage
Traînent en bruissant dans le feuillage mort ;
Elle suit du regard la fuite d’un nuage
Sous le vent déjà froid et qui chasse du nord.

Elle songe à l’absent qui lui disait : Je t’aime !
Et, sous le grand ciel bas qui n’a plus un rayon,
S’aperçoit qu’avec la dernière chrysanthème
Hier a disparu le dernier papillon.

Elle chemine ainsi dans l’herbe qui se fane,
Bien lasse de vouloir, bien lasse de subir,
Et toujours sur ses pas les feuilles de platane
Tombent avec un bruit triste comme un soupir.

– En vain, pour dissiper ces images moroses,
J’invoque ma jeunesse et ce splendide été.
Je doute du soleil, je ne crois plus aux roses,
Et je vais le front bas, comme un homme hanté.

Et j’ai le cœur si plein d’automne et de veuvage
Que je rêve toujours, sous ce ciel pur et clair,
D’une figure en deuil dans un froid paysage
Et des feuilles tombant au premier vent d’hiver.

Collection: 
1892

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