À l’Empereur Frédéric III

 

SALUT, César ! Pour toi les pâles Destinées
Comptent-elles les jours, les mois ou les années ?
Pour un brave la mort n’est rien :
Tu l’affrontas jadis sur les champs de carnage ;
A présent, tu l’attends sans peur, étant un sage.
Tu te meurs, ― et tu le sais bien.

Certes, des caps bretons au fond des steppes russes,
Tous les hommes de cœur voudraient que tu vécusses ;
Et, pleins d’une touchante horreur,
Quand la fièvre te tord sur ton lit de souffrance,
Tous se disent, jusqu’à tes ennemis de France :
« Qu’il vive, le pauvre Empereur ! »

Tous, surtout les Français ; ― car leur rancune affreuse
N’étouffe pas en eux la bonté généreuse :
Ils ne haïssent qu’à moitié.
Ils s’arment, en songeant aux hontes de naguère ;
Mais, parmi leurs fusils, durs épis de la guerre,
Fleurit ce bleuet, la pitié.

Oui, vainqueur de Sedan, durant ta longue angoisse,
Malgré nos soldats morts et bien que l’herbe croisse
Sur leurs tombeaux pas très anciens,
En toi nous n’avons vu, pris d’un respect sévère,
Qu’un homme qui souffrait, qu’un époux et qu’un père,
Au milieu des sanglots des siens.

Mais, soudain, te laissant l’empire et le royaume,
Il s’éteignit, le dur soldat, le vieux Guillaume,
Le légendaire conquérant.
Âgé de près d’un siècle, il te laissait ton heure ;
Et l’on vit, rassemblant sa force intérieure,
Se dresser le prince mourant.

Ce fut tragique alors. Muet, la gorge ouverte,
Fuyant le doux soleil, la côte toujours verte,
La plage où le flot bleu s’endort,
Le pays où le mal cède ou du moins s’allège,
Tu revins, à travers la tempête de neige,
Dans ta capitale du Nord.

Tu ne pouvais parler, fils et père de princes,
Car le cancer serrait ta gorge dans ses pinces ;
Mais, de son étreinte vainqueur,
Tu traças le mot : « Paix ! » d’une plume énergique.
Et tu nous as crié la parole magique
Par ta blessure et par ton cœur !

Un homme ne ment pas sur le seuil de la tombe,
Et l’aigle agonisant, bien plus que la colombe,
Est noble en offrant l’olivier.
Nous t’avons cru. La paix, c’est l’aube qui se lève.
Et, poète de France, alors j’ai fait ce rêve,
Et je veux te le confier.

Je te rêvais disant : « Moi qui ne dois pas vivre,
Je veux mettre un feuillet, Histoire, dans ton livre,
Comme tu n’en as point de tel.
Oui, je ne veux donner qu’un ordre, mais qui fonde,
Pour très longtemps, la paix et le bonheur du monde.
Je meurs. Je veux être immortel.

« Car l’Allemagne est folle, et la France insensée.
Leur science, leur or, leur travail, leur pensée,
Tout est pris par l’œuvre de sang.
Demain nous pouvons voir, et dans l’Europe entière,
Pour un coup de fusil tiré sur la frontière,
L’état sauvage renaissant.

« Eh bien ! moi, je prétends l’empêcher de renaître.
Je suis encor le Roi, l’Empereur et le Maître ;
Mes ordres sont exécutés.
Déchirons le traité d’où sortent tant d’alarmes.
Restituons Strasbourg et Metz. Puis, bas les armes !
Bas les armes des deux côtés !

« Allemands, laissons là notre triste conquête.
C’est une plaie au flanc que nous nous sommes faite ;
Elle va bientôt se rouvrir.
A nos altiers voisins offrons la paix sincère.
Car je plains mon pays que dévore un ulcère ;
Mais lui du moins peut se guérir.

« L’odeur des grands charniers crispe encor ma narine.
Que le dernier soupir sorti de ma poitrine
Soit un cri de paix et d’amour,
Et que les pièces Krupp, par mes mains abattues,
Plus tard, n’aient pas assez d’airain pour les statues
Du Roi qui n’a régné qu’un jour ! »

Je t’écoutais, ravi... Mais ce n’était qu’un songe.
Tu n’es qu’un moribond, qu’un mal horrible ronge
Et qui s’éteint dans les tourments.
Tu n’as pas déchiré le vieux pacte de haine,
Hélas ! et nos amis d’Alsace et de Lorraine
Restent pour toujours Allemands.

Pour toujours ? Non, peut-être... A bientôt, la bataille !
Bondez les arsenaux ! Qu’on s’arme ! Qu’on travaille !
Forgez le fer, soufflez le feu !
Çà, gens des deux pays, voyons où nous en sommes.
Quoi ! nous n’alignerions que cinq millions d’hommes ?
Mais c’est trop peu, beaucoup trop peu !

L’obus d’hier n’atteint qu’à douze kilomètres.
A la fonte ! Il nous faut d’autres canons, mes maîtres ;
Ceux-ci sont trop lourds et trop vieux.
Combien a ce fusil de balles dans sa crosse ?
Vingt seulement ? Cherchons une arme plus atroce.
On peut tuer plus vite et mieux.

Car, la prochaine fois, il faut qu’on s’extermine.
C’est fatal. Réduisons le peuple à la famine,
Dépensons le dernier écu.
L’un des deux combattants, la France ou leur Empire,
Doit y rester. Tant pis si le vainqueur expire
Sur le cadavre du vaincu !

Dieu ! tant de barbarie est-elle donc possible ?
Roi philosophe, on dit ton cœur juste et sensible ;
La sagesse est dans tes discours.
As-tu vraiment ravi leur suprême espérance
A tous ces pauvres gens fidèles à la France ?
Mourant, as-tu dit : « Pour toujours ?

Je te parle aujourd’hui comme ferait un prêtre.
Le Juge devant qui tu vas bientôt paraître
Se plaît-il aux jeux meurtriers ?
Songe à son imposant et terrible silence,
Quand tes fautes, pécheur, n’auront dans la balance,
Pour contrepoids, que tes lauriers.

Ah ! comme tu viendrais, calme, devant sa face,
Si là-bas en Lorraine et là-bas en Alsace,
Regards au ciel et cœurs fervents,
Celles par qui serait ta mémoire bénie,
Les mères ; avaient joint, pendant ton agonie,
Les mains de leurs petits enfants !

Collection: 
1862

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