Sur les môles du port

Le soir quand je m’en vais par la côte marine
Vers l’océan et sa rumeur,
Je serre mes deux mains sur ma creuse poitrine
Pour mieux sentir vivre mon cœur.

Il est là sous mes doigts qui bat, s’enfièvre, exulte ;
Et je le sens vibrant et clair
D’être perdu dans la folie et le tumulte
Des vents du large et de la mer.

Sa vie ample se mêle au fourmillement sombre
Des flots et des astres, la nuit ;
Il est comme emporté par leur rythme et leur nombre,
De laps en laps, vers l’infini.

Et peu à peu, il cède à mon ardeur tenace
De concevoir l’éternité
Et de remplir soudain et le temps et l’espace
D’un espoir fou et tourmenté.

Et je songe à tous ceux qui dans mille ans sur terre
Avec des yeux comme les miens
Regarderont la même innombrable lumière
Régir les cieux quotidiens

Et qui viendront aussi par la côte marine
Vers l’océan et sa rumeur,
En serrant leurs deux mains sur leur creuse poitrine
Pour mieux sentir vivre leur cœur.

Et c’est pour eux que je voudrais trouver sur l’heure,
Dans l’âpre espace et le vent dur,
Un mot si pénétré de sagesse meilleure
Et si chargé de sens futur

Qu’ils comprendraient, grâce à lui seul, de quelle flamme
J’ai embrassé tout mon destin,
Et comme aussi mon âme avait aimé leur âme
Depuis le temps le plus lointain.

Collection: 
1917

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