Sur la première attaque de goutte que j’eus

Le destructeur impitoyable
Des marbres et de l’airain,
Le Temps, ce tyran souverain
De la chose la plus durable,
Sappe sans bruit le fondement
De notre fragile machine ;
Et je ne vis plus un moment
Sans sentir quelque changement
Qui m’avertit de sa ruine.

      Je touche aux derniers momens
      De mes plus belles années ;
      Et déjà de mon printemps
      Toutes les fleurs sont fanées.
      Je regarde, et n’envisage
      Pour mon arriere-saison,
      Que le malheur d’être sage,
      Et l’inutile avantage
      De connoître la raison.

      Autrefois mon ignorance
      Me fournissoit des plaisirs ;
      Les erreurs de l’Espérance
      Faisoient naître mes désirs :
      À présent l’Expérience
      M’apprend que la jouissance
      De nos biens les plus parfaits
      Ne vaut pas l’impatience,
      Ni l’ardeur de nos souhaits.

      La Fortune à ma jeunesse
      Offrit l’éclat des grandeurs :
      Comme un autre avec souplesse
      J’aurois brigué ses faveurs ;
      Mais, sur le peu de mérite
      De ceux qu’elle a bien traités,
      J’eus honte de la poursuite
      De ses aveugles bontés ;
      Et je passai, quoi que donne
      D’éclat et pourpre et couronne,
      Du mépris de la personne
      Aux mépris des dignités.

      Aux ardeurs de mon bel âge
      L’Amour joignit son flambeau ;
      Les Ans de ce Dieu volage
      M’ont arraché le bandeau :
      J’ai vu toutes mes foiblesses,
      Et connu qu’entre les bras
      Des plus fidelles Maîtresses,
      Enivré de leurs caresses,
      Je ne les possédois pas.

      Mais quoi ! ma goutte est passée ;
      Mes chagrins sont écartés:
      Pourquoi noircir ma pensée
      De ces tristes vérités ?
      Laissons revenir en foule
      Mensonge, erreurs, passions :
      Sur ce peu de temps qui coule,
      Faut-il des réflexions ?
      Que sage est qui s’en défie !
      J’en connois la vanité :
La bonne ou mauvaise santé
      Fait notre philosophie.

Collection: 
1659

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Des marbres et de l’airain,
Le Temps, ce tyran souverain
De la chose la plus durable,
Sappe sans bruit le fondement
De notre fragile machine ;
Et je ne vis plus un moment
Sans sentir quelque changement
Qui m’avertit de...

 
 
C’est toi qui me rends à moi-même ;
Tu calmes mon cœur agité ;
Et de ma seule oisiveté
Tu me fais un bonheur extrême.
 
Parmi ces bois et ces hameaux
C’est là que je commence à vivre ;
Et j’empêcherai de m’y suivre
Le souvenir de...

Pour des Rondeaux, Chant-Royal et Balade,
Le temps n’est plus ; avec la Vertugade
On a perdu la veine de Clément :
C’étoit un Maître ; il rimoit aisément ;
Point ne donnoit à ses Vers l’estrapade.

Il ne faut point de brillante tirade,
De jeu de mots, ni d’...

La foule de Paris à présent m’importune,
Les Ans m’ont détrompé des maneges de Cour ;
Je vois bien que j’y suis dupe de la Fortune,
Autant que je le fus autrefois de l’Amour.

Je rends graces au Ciel que l’esprit de retraite
Me presse chaque jour d’aller bientôt...

Je sais que, partisan d’une austère sagesse,
Que, nourri de l’esprit d’Épicure et Lucrèce,
Tu penses que le sage avec tranquillité
Laisse couler en paix cette suite d’années
Dont nous font en naissant présent les destinées ;
Qu il ne doit, occupé de son oisiveté,...