Sur la mort d’un ami d’enfance

 
Encore une feuille qui tombe
De l’arbre où j’appuyais mon cœur ;
Encore un ami dans la tombe,
Encore un deuil dans ma douleur.

Le jour décroît, l’ombre s’avance,
Notre astre baisse à l’horizon :
De solitude et de silence
Chaque heure emplit notre maison.

Muette et vide est la demeure
Où riaient les espoirs amis.
Ces purs espoirs que chacun pleure
Avant nous se sont endormis.

Ah ! vous pleurer, c’est se survivre,
Vous qu’on aima dès le berceau.
Hélas ! ceux qui devraient nous suivre
Nous devancent dans le tombeau.

Lassés d’un long pèlerinage,
Les meilleurs s’en vont les premiers.
Ils sont plusieurs de mon jeune âge
Qui dorment dans l’île aux Palmiers.

Le plus cher naquit sur ces grèves
Où mes yeux s’ouvrirent au jour.
Notre enfance eut les mêmes rêves
Et notre esprit le même amour.

Nous aimions - ce que j’aime encore -
Le chant de la brise et des eaux,
Les bois, les monts baignés d’aurore,
Les clairs vallons tout pleins d’oiseaux.

Nous vous aimions, muses divines !
Ce qu’il cherchait au fond des bois,
Près des flots, au creux des ravines,
C’était l’écho de votre voix.

Il t’aimait, sainte Poésie,
D’un culte ardent et virginal !
Il ne voyait l’homme et la vie
Qu’à travers ton prisme idéal.

Au temps des fraîches confidences
Et des naïfs épanchements,
La beauté de ses espérances
Enivrait mes enivrements.

O réveil des belles ivresses !
O mensonge et déceptions !
Qu’importe !… nos seules richesses
Sont encor nos illusions.

Esprit candide, âme charmante,
Aux rêves bleus comme son ciel,
Il avait la douceur aimante,
La douceur des enfants d’Abel.

Nature inoffensive et tendre,
Il allait vers les cœurs brisés :
Les pleurs que sa mort fit répandre
Sont les seuls pleurs qu’il ait causés.

Né sur un sol où l’esclavage
Attristait sa jeune équité,
Pour tout homme et sur-tout rivage
Il t’implorait, o Liberté !

Sans dédain, sans fiel, sans envie,
Âme égale et soumise au sort,
Comme il fut clément à la vie,
Il fut souriant à la mort.

Il tomba riche encor d’années,
Dans la verdeur de sa saison.
De fleurs avant le temps fanées
Sèmerai-je un jour son gazon ?…

Eh bien, ta part est la meilleure,
Doux jeune homme au rêve ingénu !
Ce n’est pas toi sur qui je pleure,
Mais sur quelqu’un qui t’a connu.

Comme un arbre en pleine lumière,
Aux rameaux par l’aube mouillés,
Tu meurs dans ta grâce première,
Avant tes songes effeuillés.

Pour toi plus d’orage en ce monde !
Touchant au port avant le soir,
Tu n’as point au gouffre de l’onde
Vu sombrer ton dernier espoir !

Atteint dans toutes tes tendresses,
Déçu dans toutes tes ferveurs,
Tu n’as point connu ces détresses
Dont le mystère est dans nos cœurs !
 
Tu n’as point, dans la solitude,
Morne et traînant le poids des jours,
Connu l’amère lassitude
De se survivre en ses amours !

Oh ! oui, ta part est la meilleure :
Tu t’en vas pur et dans ta foi ;
Ta vie est close, et si je pleure,
C’est sur un autre que sur toi.

Au pied de la montagne austère
Que dore le couchant vermeil,
Jeune homme, en ta couche de terre,
Dors en paix ton dernier sommeil.

Que la mauve blanche des grèves
Sur ta croix noire, au bord des flots,
Vienne mêler ses notes brèves
Au chant plaintif des filaos.

Dors en paix à leur doux murmure...
Pour oublier et pour bénir,
Mon cœur, à qui la vie est dure,
Se tourne vers ton souvenir !

Collection: 
1835

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