Vous ne connaissez pas les molles rêveries
Où l’âme se complaît et s’arrête longtemps,
De même que l’abeille, en un soir de printemps,
Sur quelque bouton d’or, étoile des prairies ;
Vous ne connaissez pas cet inquiet désir
Qui fait rougir souvent une joue ingénue,
Ce besoin d’habiter une sphère inconnue,
D’embrasser un fantôme impossible à saisir,
Ces attendrissements, ces soupirs et ces larmes
Sans cause, qu’on voudrait, mais en vain, réprimer,
Cette vague langueur et ce doux mal d’aimer,
Pour un objet chéri ces mortelles alarmes ;
Vous ne connaissez rien, rien que folle gaîté ;
Sur votre lèvre rose un frais sourire vole ;
Votre entretien naïf, sérieux ou frivole,
Est égal et serein comme un beau jour d’été.
Sur votre main jamais votre front ne se pose,
Brûlant, chargé d’ennuis, ne pouvant soutenir
Le poids d’un douloureux et cruel souvenir ;
Votre cœur virginal eN lui-même repose.
Avenir et présent, tout rit dans vos destins ;
Vous n’avez pas encore aimé sans être aimée,
Ni, retenant à peine une larme enflammée,
Épié d’un regard les aveux incertains.
Jeune fille, vos yeux ignorent l’insomnie ;
Une pensée ardente et qui revient toujours
Ne trouble pas vos nuits tristes comme vos jours ;
Votre vie en sa fleur n’a pas été ternie.
Ainsi qu’un ruisseau clair où se mirent les cieux,
Dont le cours lentement par les prés se déroule,
Votre existence pure et limpide s’écoule,
Heureuse d’un bonheur calme et silencieux.