Spleen

 
Oh ! combien de mes jours le cercle monotone
Effare ma pensée et d’ennuis la couronne !
Que faire de mon âme et de ses saints transports,
Dans cet air étouffant qui pèse sur la ville,

Au milieu d’une foule insouciante et vile,
Où dort l’enthousiasme, où tous les cœurs sont morts !

Que faire, dites-moi, de ce culte funeste
Pour tout ce qui dans l’homme est grand, noble, céleste,
De ces fougues d’amour, de ces élans d’orgueil,
De ces bouillonnements, de cet intime orage,
Qui, de mes nerfs brûlés dévorant le courage,
Me font déjà rêver le repos du cercueil !

Est-ce éternellement que le sort me condamne
A dépérir ainsi dans ce climat profane ?
Oh ! ne pourrai-je donc libéré de mes fers,
Pèlerin vagabond sur de nouvelles rives,
Promener quelque jour mes passions actives,
A travers l’Océan, à travers les déserts ?

Où donc est le vaisseau qui, dédaignant la côte,
Doit chercher avec moi la mer profonde et haute ?

Quand, nouveau Child-Harold, sur la poupe monté,
A l’heure du départ, libre, sauvage et sombre,
D’un sourire pareil au sourire d’une ombre
Enverrai-je l’insulte à ce bord détesté ?

Le bercement lascif de l’onde aventureuse
Peut-être assoupirait la fièvre sulfureuse
Qui m’arrache des pleurs et me tarit le sang :
Peut-être, avec l’aspect du sol que je renie,
S’en irait cet amour dont ma pâle atonie
Divulgue le pouvoir morbide et flétrissant.

Peut-être j’oublierais jusqu’à ce nom magique
Que tant de fois mon cœur, lyre mélancolique,
A modulé tout bas loin des cœurs importuns :
Et, je ne verrais plus, dans mon sommeil morose,
Un fantôme trop cher, de sa main blanche et rose,
À ses cheveux d’ébène immiscer des parfums.

Toi l’oublier, esclave ? — Oh ! non, je t’en défie,
— Un charme trop puissant fut jeté sur ta vie. —
Tant que de sa lueur un reste de raison
Éclaircira la nuit de ton âme déserte,
Toujours, dans ta pensée aux noirs chagrins ouverte,
Une voix sarcastique épèlera ce nom !

Eh bien ! donc, si jamais, dans son pèlerinage,
Mon brick aventurier rencontrait une plage
Où s’ouvrît des combats le drame redouté :
Jetez l’ancre, dirai-je, allons ! qu’on prenne terre !
J’aime le sang, la mort, le jeu du cimeterre,
Et je réclame ici ma part de volupté !

Un cheval, un cheval !… et qu’à bride abattue
Je tombe au plus épais de ces rangs où l’on tue !
— Reçois, bruyant chaos, celui qui veut mourir…
Oh ! l’éclair des cimiers ! le spasme du courage !

La strideur des clairons, l’arôme du carnage ! —
Quelle sublime fête à mon dernier soupir ! !

Certes, jeune insensé, voilà d’orgueilleux songes.
Ta muse n’a jamais, pour d’aussi beaux mensonges,
Sur le clavier de l’âme improvisé des airs.
Mais ils sont vains les cris de ta bouillante audace !
Au conseil du Destin tu n’as pas trouvé grâce :
Sur son trône de bronze il rit de tes concerts.

— Pleure : il faut te résoudre à languir dans les villes.
Adieu l’enthousiasme. — En des travaux serviles
On t’ensevelira, comme en un froid linceul.
Ah ! pleure — mais tout bas, de peur que l’ironie
De misère et d’orgueil n’accuse ton génie.
— Et point d’amis encore ! — Il te faut pleurer seul.

Collection: 
1833

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