Nuit troisième

Rodomontade

Il était appuyé contre l'arche massive
De ce vieux pont romain, dont la base lascive
S'use aux attouchements des flots :
L'astre des nuits lustrait son visage Dantesque,
Et le Nord dérangeait son manteau gigantesque
Avec de sauvages sanglots.

À voir son crâne ardu, sa fauve chevelure,
De son cou léonin la musculeuse allure,
Ses yeux caves, durs, éloquents,
Ses traits illuminés d'orgueil et d'ironie,
On l'eût pris volontiers pour le rude génie
Des tempêtes et des volcans.

Il disait : Oh ! pourquoi le culte de ma mère
N'est-il que jonglerie, imposture, chimère !
Pourquoi n'a-t-il jamais été
Ce Jésus, clef de voûte et fanal de notre âge !
Pourquoi son Évangile est-il à chaque page
Contempteur de la vérité !

Si, dans le firmament, des signes, des symboles,
Amenaient ma superbe à croire aux paraboles
Du charpentier de Nazareth ;
Si pour me révéler à moi, débile atome,
Que le grand Jéhovah n'est pas un vain fantôme,
Un archange ici se montrait ;

Ne croyez pas qu'alors, pénitent débonnaire,
Dans une église, aux pieds d'un prêtre octogénaire,
J'advolerais tout éperdu !
Ni qu'en un beau transport, affublé d'un cilice,
J'irai de saint Bruno renforcer la milice,
Dos en arcade et chef tondu !

Non, non. Je creuserais les sciences occultes :
Je m'en irais, la nuit, par des sites incultes ;
Et là, me raillant du Seigneur,
Je tourbillonnerais dans la magie infâme,
J'évoquerais le Diable... et je vendrais mon âme
Pour quelques mille ans de bonheur !

Pour arsenal j'aurais l'élémentaire empire
Le gobelin, le djinn, le dragon, le vampire,
Viendraient tous me saluer roi.
Je prendrais à l'Enfer ses plus riches phosphores,
Et, métamorphosant mes yeux en météores,
Partout je darderais l'effroi.

J'enlèverais alors la belle châtelaine
Que, dans un château fort, centre de son domaine,
Retient l'ire d'un vil jaloux,
Depuis l'heure damnée où, dans la salle basse,
Plus tôt que de coutume arrivant de la chasse,
Il me surprit à ses genoux.

Aux mers de l'Orient, dans une île embaumée,
Mes sylphes porteraient ma pâle bien-aimée,
Et lui bâtiraient un séjour
Bien plus miraculeux, bien autrement splendide
Que celui qu'habitaient, dans la molle Atlantide,
Le roi de féerie et sa cour.

Amour, enthousiasme, étude, poésie !
C'est là qu'en votre extase, océan d'ambroisie,
Se noieraient nos âmes de feu !
C'est là que je saurais, fort d'un génie étrange,
Dans la création d'un bonheur sans mélange,
Être plus artiste que Dieu !!!...

Collection: 
1831

More from Poet

  • Nécropolis

    Sur la terre on est mal : sous la terre on est bien.
    (PETRUS BOREL)

    I

    Voici ce qu'un jeune squelette
    Me dit les bras croisés, debout, dans son linceul,
    Bien avant l'aube violette,
    Dans le grand cimetière où je passais tout seul :

    II...

  • Dandysme

    I

    C'est l'heure symphonique où, parmi les ramures,
    Roulent du rossignol les tendres fioritures ;
    L'heure voluptueuse où le coeur des amants,
    Au seuil du rendez-vous, double ses battements.
    Des murmures du soir les merveilles suaves
    D'un mol...

  • Rodomontade

    Il était appuyé contre l'arche massive
    De ce vieux pont romain, dont la base lascive
    S'use aux attouchements des flots :
    L'astre des nuits lustrait son visage Dantesque,
    Et le Nord dérangeait son manteau gigantesque
    Avec de sauvages sanglots....

  • Névralgie

    I

    Jusques à mon chevet me poursuit mon idée
    Fixe : toutes les nuits j'en ai l'âme obsédée.
    Pour noyer au sommeil ce démon flétrissant,
    Des sucs de l'opium le charme est impuissant.
    Au seuil de mon oreille, une voix sourde et basse
    Comme l'...

  •  
    I

    Désireux que j’étais d’un songe bien morose,
    J’avais pris, l’autre soir, une assez forte dose :
    D’opium. — Et d’abord, je vis un tournoiement
    De grandes masses d’ombre… un bizarre ondoiement

    De nuages moirés et fantasmagoriques,
    De profils...