Nous étions, une année, en Suisse
Un ami et moi, son complice,
Ni plus ni moins que deux Anglais ;
Quand il nous prit la fantaisie
D’aller voir, en leur Valaisie,
Ces messieurs crétins du Valais.
Un jour, donc, par un temps propice,
Nous dévalions à Saint-Maurice.
Sis entre deux monts sourcilleux,
Et le chef-lieu du crétinisme,
Si l’on en croit ceux du tourisme.
Nous ne pouvions espérer mieux.
Nous gagnâmes une guinguette,
Où déjà le patron nous guette,
En nous souhaitant « bon matin » :
« Ces messieurs dîneront, sans doute ? »
Nous l’interrompîmes : « Écoute !
Trouve-t-on ici des crétins ? »
Mais lui, fixant comme une cible
Nos deux visages impassibles,
Hésita, craignant de choisir
La réponse définitive,
Qui ferait de nous ses convives,
Ou nous déciderait à fuir.
Enfin, avec un bon sourire,
Il prit le parti de nous dire :
« Non, messieurs, non. — C’est malheureux ! »
Fîmes-nous. « Oui, c’est bien dommage,
Car, désirant leur rendre hommage,
Nous n’étions venus que pour eux. »
Voilà notre homme fort en peine,
Mais, de peur de perdre une aubaine,
« Quoi, messieurs ! c’est donc sérieux !.
Nous dit-il. « Eh bien ! que je meure !
Si vous n’en voyez, tout à l’heure,
Au moins un, des plus curieux. »
Alors, nous nous mîmes à table.
Et bientôt un être minable
Entra, fichu comme Scarron,
Torticol, et bigle et bancroche,
En lequel absurde fantoche,
Nous reconnûmes le patron…
Étant, ce jour-là, d’humeur tendre,
Nous feignîmes de nous méprendre
À cet artifice enfantin,
Sans autrement lui chercher noise.
Plus tard en réglant notre ardoise
Nous lui dîmes : « Bravo, crétin ! »
Et lui : « Messieurs, point de colère !
Ce que j’en fis c’est pour vous plaire.
Mais, si vous m’avez bien compris,
Nous n’avons de crétins en Suisse,
Non plus ailleurs qu’à Saint-Maurice,
Que quand il en vient de Paris. »