Solitude et Renoncement

 
Sous ton modeste toit, que l’amitié visite,
Clos tes jours occupés, cultive en paix ton art.
Ne va point dans la foule où l’homme vain s’agite :
La foule t’est mauvaise, ami ; vis à l’écart.

Dieu t’a fait le cœur haut, l’esprit inexorable ;
Tu ne saurais longtemps toi-même t’abuser.
Pour qui le voit de près, ce monde est misérable :
Il le faudrait bientôt haïr ou mépriser.

Non ! ni mépris ni haine, ami ; reste impassible.
Que la Muse à jamais soit tes seules amours.
Toi, tu te souviendrais ! dans ton âme inflexible,
Le mal comme le bien reçu vivra toujours !

Ton cœur n’est point pareil à ces plages de sable,
Oublieuses du flot quand le flot a passé.
Des jours tu garderas la trace ineffaçable,
Qu’ils aient brisé ton rêve ou qu’ils l’aient caressé.

Nature douce et forte aux durables empreintes,
Tu saurais pardonner, mais non point oublier.
Crains du ressouvenir les poignantes étreintes !
Tu maudirais tes dieux sans les calomnier !

Aimer, lutter, souffrir, mieux vaut l’indifférence !
La paix, du moins, la paix est dans l’obscurité.
Pour conquérir le but où va ton espérance,
Il faudrait moins d’amour et plus de vanité.

Tu saurais trop aimer ! — Ton cœur, c’est ton génie.
Toute à chacun, ta vie a soif de dévoûment.
Ce qu’il ne peut sentir, l’égoïste le nie :
L’air qu’il lui faut, ami, n’est point ton élément.

Tu saurais trop aimer ! — De navrantes tendresses
Sans profit ni merci dévoreraient tes jours ;
Ta main se glacerait entre des mains traîtresses :
L’aspic naîtrait couvé par l’Ève des amours !

Tu saurais trop aimer ! — À tes instincts rebelle,
En vain tu voilerais les flammes de ton cœur ;
L’âme aimante est un lys que son parfum décèle :
Ferme à d’ingrats frelons ta vie et ta liqueur.

Devant le mal vainqueur, devant le fait cynique
Si tu baissais les yeux ou détournais le front :
“Il ne voit pas !” dirait la Dupe satanique.
L’un niera ta pudeur, d’autres l’exploiteront.

Oui, tes propres vertus, tes fiertés, tes noblesses,
Tu les verrais te nuire un jour et te trahir !
Le lâche traduirait tes pitiés en faiblesses !...
Ah ! tu sais trop aimer, ami ; crains de haïr !

Haïr, c’est s’abaisser ! Lutter, la lutte est vaine !
À d’odieux combats n’avilis pas ta main !
Prise plus haut le sang qui coule dans ta veine :
L’hydre au fiel venimeux ne vaut pas ton dédain !

La foule est ainsi faite, ami, je l’ai connue :
Pour y vivre, il faut être ou victime ou bourreau...
Rien plutôt ! que l’éclair s’éteigne dans la nue !
Que le glaive insouillé dorme vierge au fourreau !

Vis pour ton art. Renonce aux rêves du bel âge.
Comme un lac de montagne au flot clair et dormant,
Reflète en ton esprit l’étoile et le feuillage ;
Vis et mûris pour Dieu dans ton isolement.

La solitude est douce à l’âme et salutaire.
Élabore en secret, lys des grands bois, ton miel.
Que ton cœur, clos et mort du côté de la terre,
Ne reçoive le jour que du côté du ciel !

Collection: 
1835

More from Poet

 
Puisque en tes jours bénis de gloire et de puissance,
Du pauvre jusqu’à toi franchissant la distance,
Tu l’aidas de sa croix à porter le fardeau ;
Et que, sourd aux instincts d’une opulence avare,
Toi, prince, tu couvris les membres de Lazare
       Des plis...

 
LA MÈRE

Pourquoi jeter ta voix si paisible et si douce
A travers ces rumeurs d'un siècle aux fortes voix ?
Ami, crois-moi, résiste au démon qui te pousse ;
Laisse tes faibles chants, comme l'eau sur la mousse
Laisse tes chants couler à l'ombre de nos...

 
La vipère du mal a mordu ta pensée,
Poète, et dans ton sein la colombe blessée
Palpite. Apaise-toi ; ferme ton noble cœur
Aux stériles conseils d’une aveugle douleur.
Souffre ; laisse venir les heures vengeresses.
Mais pour le Mal alors plus de pitiés...

 
Marie, ô douce enfant aux grands yeux de gazelle,
Qui naquis sur un sol où croissent les palmiers ;
Toi dont l’âme charmante et les songes premiers
Se sont ouverts, bercés à la voix fraternelle
         Des bengalis et des ramiers !

O douce enfant ! ta vie...

 
Loin d’ici veux-tu fuir ? pauvre couple enchaîné,
Veux-tu nous envoler vers l’île où je suis né ?
Je suis las de contrainte et de ruse et d’entrave.
Le ciel ne m’a point fait avec un cœur d’esclave !
Me cacher pour te voir, pour t’aimer, ô tourment !
Je veux...